«Est-ce qu’il a l’air de ne pas pouvoir résister à une trombe d’air locale? Cet incident semble être une histoire incroyable, tant sur le plan technique que sur le plan des faits.» Le constructeur du luxueux voilier qui a sombré en quelques minutes lundi à l'aube, au large de la Sicile, est formel: le «Bayesian» a été conçu pour être «insubmersible». Voilà pour la théorie. La réalité? Le palace flottant de 56 mètres de long s'est transformé en tombeau pour six passagers et son cuisinier.
Pour Giovanni Costantino, dont la société a elle aussi sombré depuis le drame, mais en Bourse, ça ne peut être qu'une «longue série d'erreurs déraisonnables». En d'autres termes, si les procédures avaient été scrupuleusement respectées, la mini-tornade aurait tout juste secoué le voilier une petite heure. Alors que l'épave gît toujours à 50 mètres, sa coque a d'ailleurs été découverte intacte par les premiers plongeurs.
Si des bourdes humaines sont invoquées, c'est aussi parce qu'un voilier voisin, pourtant bien moins imposant, a résisté au choc, lundi matin. Son capitaine, Karsten Borner, a d'ailleurs assisté au drame depuis le pont de son bateau. Selon lui, l'imposant mât du «Bayesian», l'un des plus hauts du monde, a peut-être représenté une trop forte résistance au vent. Raison pour laquelle il se serait rapidement couché sur la mer.
Selon plusieurs experts maritimes, les passagers n'auraient pas dû être cloitrés en cabine au moment de la trombe marine, mais réunis dans un endroit sûr.
Des écoutilles ouvertes, par lesquelles l'eau se serait immédiatement infiltrée, sont aussi au cœur du mystère. C'est «la théorie la plus plausible» selon le patron du constructeur, Giovanni Costantino. Parmi les nombreuses ouvertures présentes sur le yacht, un large trappe à l'arrière aimante particulièrement l'attention. Selon l'un des plongeurs, interrogé par la Repubblica, elle était grande ouverte lorsque l'équipe de secouristes a pu atteindre l'épave gisant à 50 mètres de profondeur. Enfin:
Des hublots ont-ils été laissés ouverts ou cassés par la tempête? Pourquoi le «Bayesian» était à l'ancre alors qu'il aurait fallu le manœuvrer pour affronter la trombe? La quille (chargée de stabiliser le bateau) était-elle bien relevée au moment du drame? Les questions auxquelles les enquêteurs sont désormais chargés de trouver des réponses sont encore très nombreuses. Sans compter que le voilier «est toujours très difficile d'accès», notamment à cause des couloirs étroits et des débris qui flottent, selon le porte-parole des pompiers, à Sky News:
On rappelle que quinze rescapés sont, aujourd'hui, sous le choc, mais saufs et que les corps des six disparus ont été repêchés en cette fin de semaine, malgré des recherches compliquées. Un drame qui aura fait sept morts au total, dont le jeune cuisinier de l'embarcation. Si ce naufrage au large de Palerme attise autant les théories, c'est en raison du pedigree des passagers et de l'objectif de cette virée en mer. Le propriétaire du «Bayesian», Mike Lynch, était l'un des magnats de la Tech les plus prolifiques et respectés du Royaume-Uni.
Surnommé le «Bill Gates britannique», ce serial entrepreneur de 59 ans (mais aussi ses invités) fêtait une victoire un peu particulière sur son voilier. En juin dernier, il avait été acquitté dans une sombre affaire de fraude, aux Etats-Unis, à la suite de la vente de sa société au géant américain HP.
Si Mike Lynch risquait plus de 25 ans de prison, son ancien directeur financier était lui aussi le banc des accusés. Coup du sort, Stephen Chamberlain est décédé quelques heures avant le naufrage... en Angleterre, fauché par une voiture alors qu'il faisait son footing. Une coïncidence qui nourrit forcément des théories que l'on connaît trop bien sur Netlix. Sur les réseaux sociaux, ça parle de suicides coordonnés ou de règlements de compte.
Vendredi à mi-journée, les autorités ont confirmé avoir retrouvé le corps de la fille du magnat de la Tech, âgée de 18 ans.
Quatre jours seulement après le drame, seuls les premiers éléments de l'enquête permettront de faire la lumière sur ce naufrage et rassasier l'opinion publique avec des faits. Une enquête qui risque de tirer en longueur, tant les zones d'ombre sont encore nombreuses.