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Little Saint James, «l'île de l'orgie» de Jeffrey Epstein

L'île d'une trentaine d'hectares a appartenu au pédophile américain Jeffrey Epstein de 1998 à sa mort, en 2019. Elle a été vendue en mai à un investisseur.
L'île d'une trentaine d'hectares a appartenu au pédophile américain Jeffrey Epstein de 1998 à sa mort, en 2019. Elle a été vendue en mai à un investisseur.bespokerealestate

Little Saint James, «l'île de l'orgie» de Jeffrey Epstein

Son ancien propriétaire la surnommait affectueusement «Little Saint Jeff'». Son coin de terre chéri risque de passer à la postérité sous des surnoms beaucoup plus sordides. «L'île de l'orgie», «l'île du vice» ou encore «l'île du pédophile». Zoom sur Little Saint James, cet enfer turquoise au cœur des Caraïbes et de toutes les attentions cette semaine, ancien repère du prédateur sexuel milliardaire Jeffrey Epstein.
08.01.2024, 11:43
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L'expression revient tout le temps. «L'île d'Epstein.» Comme un coup de stabilo bleu vif tout au long des 1000 pages de documents judiciaires consacrés à l'affaire Epstein, fraîchement descellés cette semaine par une juge new-yorkaise. «L'île d'Epstein.» Un morceau de paradis vert et azur dans les Iles Vierges. Un pôle d'attraction pour les riches et puissants. Un enfer pour les jeunes femmes tombées entre les griffes du criminel sexuel condamné.

Aux sources du paradis

Avant qu'elle ne devienne «l'île du vice», Little Saint James, c'est d'abord une île pas plus grande que le lac des Taillères à la Brévine. Un petit bijou turquoise et émeraude, bordé de récifs coralliens, au large de Saint-Thomas, la troisième île des Caraïbes. Une végétation luxuriante, des criques, des bosquets, des routes sinueuses et des montagnes parsemées de maisons danoises de l'époque coloniale. Voilà pour le décor, façon Paul et Virginie.

Little Saint James est située à moins de deux kilomètres de l'île de Saint-Thomas.
Little Saint James est située à moins de deux kilomètres de l'île de Saint-Thomas.

C'est en 1998 que le financier Jeffrey Epstein s'offre cet écrin d'environ trente kilomètres carrés pour 8 millions de dollars. Par souci de s'épargner la présence et les tracas du voisinage, il s'offre 18 ans plus tard sa grande sœur, l'île de Great Saint James, ancienne propriété d'une «femme décédée dans un chalet en Suisse», pour 22,5 millions de dollars.

Pour faire son nid, l'investisseur se contente de la bien-nommée Little Saint James où il lance dès 2007 un chantier de rénovation titanesque qui mobilise plus de 200 ouvriers. «Il a embauché une équipe et lui a demandé de faire en sorte que le site ressemble à une île polynésienne», témoigne récemment son frère, Mark Epstein, au New York Post. Quitte à raser la végétation indigène pour la remplacer par une armée de palmiers de 12 mètres de haut.

«Il a investi une fortune, mais il s'en fichait. C'est ce qu'il voulait. Il a fait de l'île ce qu'il voulait qu'elle soit»
Mark Epstein, au New York Post.

En quelques années, «Little Saint Jeff's» se retrouve transformée en un imposant complexe de cinq bâtiments aux murs crème et au toit bleu, composé d'une villa principale pour Epstein et de quatre maisonnettes pour ses invités.

Un aperçu de la disposition des bâtiments, la villa principale flanquée de ses quatre maisonnettes.
Un aperçu de la disposition des bâtiments, la villa principale flanquée de ses quatre maisonnettes.shutterstock

A travers un réseau de sentiers, terrasses, beach houses, piscines, bâtiments utilitaires, héliport et même un «lagon peuplé de flamants roses», des voiturettes de golf zigzaguent et transportent les convives. Cinq minutes à peine sont nécessaires pour traverser Little Saint James d'un bout à l'autre.

Discrètion et silence d'or

Pour choyer cet éden et ses occupants, un équipage de 70 personnes: marins, pilotes, patrouilleurs, jardiniers et personnel de maison, tous affublés de polos noirs ou blancs, qui œuvrent dans l'ombre. Et pas question que le maître des lieux se rende compte de leur présence.

Facilities at Little St. James Island, one of the properties of financier Jeffrey Epstein, are seen in an aerial view, near Charlotte Amalie, St. Thomas, U.S. Virgin Islands July 21, 2019. REUTERS/Mar ...
En 2008, plus de 70 employés font tourner l'île de Little Saint James.Image: X03707

Discrétion. Silence. C'est la règle d'or, avec Jeffrey Epstein. Pour s'en assurer, sa maîtresse et femme de main, Ghislaine Maxwell, fait signer des accords de confidentialité à tour de bras. Parmi les clauses du contrat: interdiction de parler aux forces de l'ordre et obligation de signaler à Jeffrey Epstein toute éventuelle «demande de renseignements» de la part des autorités ou des médias.

«Ce que Jeffrey veut, Jeffrey l'obtient»
Ghislaine Maxwell, à une ancienne gérante de l'île, Cathy Alexander, selon le Daily Mail.

Ce qui explique pourquoi les employés prennent leurs jambes à leur cou lorsqu'ils voient pointer les tongs et le torse nu du maître des lieux, sur fond de «musique méditative». Pour Jeffrey Epstein, qui a pour habitude de s'envoler dans l'archipel deux ou trois fois par mois, Little Saint James est une «retraite zen», où il est avide de calme et de «simplicité».

Ghislaine Maxwell, condamnée à 20 ans de prison pour trafic sexuel, a veillé pendant plus de 20 ans au bien-être de son amant.
Ghislaine Maxwell, condamnée à 20 ans de prison pour trafic sexuel, a veillé pendant plus de 20 ans au bien-être de son amant.

«Le dîner était très informel, il ne buvait jamais d'alcool et nous en avions rarement en stock», témoigne d'anciens gérants de l'île au Daily Mail. «Il avait également l'habitude de ne pas prendre ses repas devant des gens. Au lieu de cela, il préférait prendre ses collations, des beignets de crabe par exemple, dans sa chambre.»

«Mlle Maxwell nous a averti de ne jamais le déranger là-bas. C'était absolument interdit»
Cathy Alexander, ancienne responsable sur l'île, au Daily Mail.

Il y en a pourtant, du monde, qui gravite autour de la piscine: tout le who's who de célébrités, personnalités des affaires, scientifiques et membres de la royauté se bouscule sur la terrasse de Little Saint James. Des invités prestigieux venus du monde entier à bord du Lolita Express, l'un des avions du milliardaire, pour voir de ses propres yeux et savourer les plaisirs de l'île d'Epstein.

«Beaucoup de gens allaient et venaient. C'était comme diriger un hôtel cinq étoiles où personne ne payait»
Miles Alexander, ancien gérant de l'île, au Daily Mail.

Se croisent ainsi, au fil des ans, le prince Andrew, Naomi Campbell, Kevin Spacey, Bill Clinton (l'ancien président nie y avoir jamais mis les pieds, malgré plusieurs témoignages en ce sens) ou encore Stephen Hawking. En 2006, le scientifique s'est vu proposer une visite des fonds marins, à bord d'un appareil spécialement modifié pour lui sur demande de Jeffrey Epstein. Sa première fois sous l'eau. On peut dire que le magnat manie l'art de cajoler ses invités.

«L'île du pédophile»

Et bien sûr, il y a les femmes. Des femmes tout le temps. Dans les bras de Jeffrey Epstein et ceux de nombreux convives. Toujours sublimes, souvent topless. Parfois entièrement nues. Et surtout, étrangement jeunes. Elles arrivent par grappes entières, par hélicoptère ou à bord du bateau, le Lady Ghislaine. La condamnation d'Epstein en 2008 pour racolage de mineurs n'y change rien.

«Chaque fois qu'il atterrissait ou décollait, on en parlait. Nous plaisantions toujours en nous demandant: "Combien d'enfants à bord cette fois-ci?"»
Un ex-employé à Vanity Fair, qui tient à préciser qu'il ressentait un «pur dégoût» face à ce trafic.

«Il y avait des filles qui auraient pu être au lycée », se souvient un ancien contrôleur aérien de la piste d’atterrissage de Saint-Thomas, auprès de Vanity Fair. «Elles avaient l'air très jeunes. Elles portaient toujours des sweat-shirts universitaires. Ça ressemblait à du camouflage.»

Si certains employés, mal à l'aise, finissent par quitter le navire, («Je ne pouvais m'empêcher de me demander si leurs mères savaient où ils se trouvaient», confie l'ancienne gérante Cathy Alexander au Daily Mail, des années après avoir démissionné), d'autres préfèrent se taire et obéir. «On savait qu'il refilait toujours de très bons pourboires, alors tout le monde a fait comme si de rien», admet un ex-contrôleur aérien à Vanity Fair, en 2019.

Jeffrey Epstein et une de ses jeunes filles, sur la terrasse de Little Saint James.
Jeffrey Epstein et une de ses jeunes filles, sur la terrasse de Little Saint James.

Difficile pourtant d'ignorer ce qui se passe, là, entre les maisonnettes blanches et deux plongeons dans la piscine. Les «massages», les abus, les viols, la manipulation, le travail forcé de dizaines de jeunes filles. Certaines victimes, dont la plupart sont mineures, n'ont que 12 ans. Prises au piège dans un bunker doré, perdu au milieu des eaux cristallines.

Dans une plainte déposée bien des années plus tard, la procureure générale des Iles Vierges décrit comment le milliardaire contrôle habilement toutes les communications de ses captives avec le monde extérieur, jusqu'à les priver de leurs passeports - par pure commodité. Les rares courageuses ayant l'audace de s'enfuir par la nage ne vont jamais bien loin. Des patrouilleurs les repêchent aussitôt, pour les ramener vers leur geôlier.

«J'avais été violée trois fois ce jour-là. A cette époque, un requin aurait été mon meilleur ami. Ça ne m'est même pas passé par l'esprit. Je pensais seulement: tire-toi d'ici»
Sarah Ransome, une des survivantes du réseau d'Epstein, au Daily Telegraph.
A dock at Little St. James Island, one of the properties of financier Jeffrey Epstein, is seen in an aerial view, near Charlotte Amalie, St. Thomas, U.S. Virgin Islands July 21, 2019. REUTERS/Marco Be ...
Plusieurs jeunes femmes ont tenté de rallier Saint-Thomas à la nage, sans succès.Image: X03707

Ce défilé ne passe pas inaperçu auprès des habitants de l'île de St-Thomas. Chez les locaux, Little Saint James est rebaptisée «l'île du péché», ou «l'île du pédophile». Un lieu secret, inaccessible, même pour les plongeurs qui, sitôt qu'ils s'approchent trop près de ses rivages, sont repoussés par des agents de sécurité.

«Tout le monde l'appelait "l'île des pédophiles". C'était un coin sinistre»
Kevin Goodrich, habitant de Saint Thomas et gérant des charters de bateaux, à Vanity Fair.

Les autorités ont pourtant bien tenté à quelques reprises d'enquêter sur le refuge insulaire de Jeffrey Epstein. Pas plus tard qu'en 2018, sur fond de soupçons d'évasion fiscale, les autorités décident de lui rendre une petite visite pour vérifier son adresse. Selon la plainte de la procureure générale, le propriétaire refuse aux agents l'entrée sur le quai, arguant qu'il s'agit de sa «porte d'entrée». Il insiste pour déplacer l'entretien dans son bureau de Saint-Thomas. Ce sera chose faite. Comme disait Ghislaine Maxwell, ce que Jeffrey veut, Jeffrey l'obtient.

«Les gens du coin pensaient qu'il est trop riche pour être surveillé correctement»
Spencer Consolvo, habitant de Saint-Thomas et tenancier d'une boutique touristique près de la marina, à Vanity Fair.

Et aujourd'hui?

La mort de Jeffrey Epstein, en 2019, dans sa cellule de New York, plonge les deux sœurs, Little Saint James et Great Saint James, dans l'incertitude. Leur destin est âprement disputé entre le gouvernement des îles Vierges américaines et les successeurs du milliardaire décédé.

Au terme d'un accord discuté pendant plus de deux ans, l'île revient finalement à la succession d'Epstein. Un cadeau empoisonné. Le site, délaissé, impossible à vendre au prix demandé de 125 millions de dollars, se mue en lieu de pèlerinage pour les amateurs d'exploration, les influenceurs et les touristes en manque de frissons. «L'île du pédophile» est désormais un passage obligé des circuits en bateau.

Une vue aérienne de la maison, en 2023, où la peinture turquoise du toit a laissé place à un gris très sobre.
Une vue aérienne de la maison, en 2023, où la peinture turquoise du toit a laissé place à un gris très sobre.

Il faut attendre mai 2023 pour que l'îlot maudit termine, enfin, par trouver preneur: c'est un riche investisseur, Stephen Deckoff, qui s'offre le joyau terni des Caraïbes pour moins de la moitié de son prix initial. Selon certaines informations, le co-fondateur de Black Diamond Capital Management espère inaugurer un nouveau complexe de luxe courant 2025.

Si le nouveau propriétaire a confirmé qu'il ne comptait pas raser l'ancienne résidence de Jeffrey Epstein, une grande partie de la propriété a été largement remodelée.

Objet de nombreuses théories du complot, le célèbre «temple» de Jeffrey Epstein a déjà un nouveau look, transformé désormais en cube blanc.
Objet de nombreuses théories du complot, le célèbre «temple» de Jeffrey Epstein a déjà un nouveau look, transformé désormais en cube blanc. shutterstock

Les toits du domaine ont déjà perdu toute trace de leur flamboyante peinture turquoise, pour un gris nettement plus sobre. Pas sûr, cependant, que les murs perdent la mémoire des sinistres évènements perpétrés pendant vingt ans sur le Little Saint James.

Ce quoi ce trend de riches qui dansent dans leur manoir?
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