La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, avec sa grande parade fluviale d’une longueur de 6 km, vendredi, sur la Seine, promet d’être grandiose. Mais grandiose comment? Cette question fait polémique. Une polémique comme le calme avant la tempête. Car personne n’a encore rien vu de la cérémonie, entourée du plus grand secret pour garantir l’effet de surprise.
Mais les intentions de ses concepteurs sont connues: il s'agit de déjouer «les stéréotypes nationaux». De quoi alimenter la controverse. Laquelle a tout à voir avec l’idée que les uns et les autres se font de la France, de son passé, de son présent, de son futur. Une dispute idéologique, dans l'air du temps.
Dans une interview au journal Le Monde parue le 16 juillet, l'historien Patrick Boucheron déclarait:
Professeur au Collège de France, le graal du professorat, Patrick Boucheron, qui a appelé à voter pour le Nouveau Front populaire lors des élections législatives face à la menace de l’extrême droite, est une sommité dans son domaine, l’histoire médiévale. Il fait partie de l’équipe qui a été chargée d’élaborer un scénario pour la cérémonie d’ouverture autour du metteur en scène Thomas Jolly.
L’historien, qui avait voté pour Emmanuel Macron en 2017, s’oppose au «roman national», à une histoire toute faite de l’identité de la France, comme gravée dans le marbre. Le titre de l'ouvrage collectif qu’il avait coordonné, «Histoire mondiale de la France», paru en 2017, donnait le ton: le monde a fait et continue de faire la France.
Sa sortie avait provoqué l’ire des intellectuels de droite ou qualifiés de «réacs», attachés à l’idée d’un récit national adossé au patrimoine et aux œuvres culturelles, entre autres littéraires, qui rendent la France «aimable et admirable» aux yeux du monde, défendait ainsi Alain Finkielkraut, la bête noire, et réciproquement, de Patrick Boucheron. «Ni Rabelais, ni Ronsard, ni La Fontaine, ni Racine, ni Molière, ni Baudelaire, ni Verlaine, ni Proust» ne figurent dans les 800 pages d'«Histoire mondiale de la France», déplorait le philosophe il y sept ans.
Aujourd’hui, réagissant à l’interview du Monde, c’est au tour de l’essayiste Eugénie Bastié, journaliste au Figaro, d’adresser une pique à Patrick Boucheron, renvoyé à sa «fable multiculturaliste»:
Bref, vendredi, à partir de 19h30, les téléspectateurs du monde entier ne devraient pas assister à un spectacle façon «Puy du fou», du nom de ces sons et lumières médiévaux qui font un tabac en Vendée. Ce que Julien Abbas, un jeune membre du parti de droite Les Républicains, regrette amèrement. Sur X, il écrivait, le 17 juillet:
Nicolas de Villiers est le fils de l’ancien ministre et très conservateur Philippe de Villiers, le fondateur du «Puy du Fou».
Dans le spectacle d’ouverture des Jeux, il n’y aura pas d’«esprit de sérieux», pas ou «pas seulement ces fameuses valeurs philosophiques traditionnelles que la France exhibe volontiers avec parfois trop d’assurance», indique, au Monde toujours, l’écrivaine Prix Goncourt Leïla Slimani, qui a participé à l'écriture du scénario de la cérémonie avec Patrick Boucheron.
Ce dernier dit avoir voulu s’inspirer de la cérémonie imaginée par Jean-Paul Goude pour le bicentenaire de la révolution française, en 1989.
Jean-Paul Goude, génial réalisateur de pubs et de clips, avait conçu un défilé qui se voulait une ode à la tolérance. Drapée dans une étoffe de déesse aux couleurs de la France, la cantatrice afro-américaine Jessye Norman avait interprété une Marseillaise mémorable au pied de l’obélisque de la Place de la Concorde. L’époque était à la fois plus optimiste et plus idéaliste sur la question du vivre-ensemble.
Patrick Boucheron se tromperait-il d’époque? Professeur d’histoire à l'Institut des sciences du sport de l'Université de Lausanne, Grégory Quin, joint par watson, voit dans l’approche défendue par les concepteurs de la cérémonie d’ouverture «un point de vue possiblement à contre-courant, alors que la demande de nation et de frontières croît élection après élection en France».
«De toute manière et comme pour toute cérémonie d’ouverture des JO, on n’échappera pas, à Paris, à une forme de nationalisme», estime Grégory Quin. Et de citer «le nationalisme des plus beaux monuments, du savoir-faire français, de la plus belle cérémonie jamais vue, etc.»
C’est en effet le long des plus beaux monuments de Paris – du monde, diront les chauvins – que la parade voguera, du pont d’Austerlitz à la tour Eiffel. Un spectacle en douze tableaux, qui s’annonce comme un «émerveillement». Et si le Rassemblement national avait gagné les élections législatives?
«Ce n’est pas arrivé», souffle Patrick Boucheron.