Début 2022, un pari plutôt macabre était lancé à la rédaction de watson, dans la foulée d'un communiqué annonçant un énième pépin de santé d'Elizabeth II. Combien de temps restait-il à la reine d'Angleterre, 96 ans, avant qu'elle ne tire sa révérence? Les suggestions ont fusé. «Dix ans!» «Trois ans!» «Une semaine!». Qui dit mieux? «Septembre 2022», quelques semaine après la fin des célébrations pour ses 70 ans de règne et un été plein d'obligations.
La sinistre prédiction s'est réalisée.
Après son retrait brutal de la course pour un second mandat, la même question se posera pour Joe Biden. A 81 ans, l'ex-sénateur n'a jamais cessé de travailler et carbure à l'adrénaline politique depuis plus d'un demi-siècle. Il ne lui reste que six mois à tirer avant d'être sommé de rendre son tablier et de savourer une retraite bien méritée, sans doute dans son Etat du Delaware. Le choc s'annonce rude. Pour ne pas dire fatal?
Après tout, Joe Biden n'est pas le seul à être un mordu de travail. Les Etats-Unis regorgent de politiciens âgés qui se refusent à tirer la prise - à commencer par son rival politique, Donald Trump, 78 ans. Mais citons également le chef des démocrates au Sénat, Chuck Schumer (73 ans), l'indépendant Bernie Sanders (82 ans), ou, mieux encore, le républicain Chuck Grassley, réélu à l'âge de 90 ans et qui n'a pas du tout évoqué son intention de partir.
C'est le cas pour de nombreuses personnes de la tranche démographique de Biden, qui ont continué à travailler bien au-delà de 65 ans, l’âge moyen de la retraite pour les hommes aux Etats-Unis. Selon le Wall Street Journal, environ 650 000 Américains de plus de 80 ans travaillaient en 2022, soit 18% de plus qu’il y a dix ans. Certains par obligation, inflation ou faute d'épargne. Pour des milliardaires comme le magnat des médias Rupert Murdoch ou l'investisseur Nelson Peltz, c’est un choix.
A chacun ses raisons: ego, peur de l'ennui, de perdre en pertinence ou de ne plus avoir d'impact sur la société.
Une chose est sûre: plus on a de responsabilités, plus on s’investit, plus notre emploi nous donne le sentiment d'être utile à la société, plus il est dur de laisser tomber. Joe Biden, par exemple, a fréquemment rabâché son désir de «servir la nation» et d'être investi d'une mission envers ses compatriotes.
Sans compter que la perspective d'abandonner son poste, son prestige et son influence, pour un nouveau quotidien d'«oisiveté» et de loisirs, peut donner des frissons à quelqu'un qui est accoutumé aux couloirs du pouvoir. Même sans atteindre le siège ultime de président. Le sénateur républicain Mitt Romney, par exemple, avait confié à un biographe: «La plupart d'entre nous ont essayé de jouer au golf pendant une semaine, et on était là...»
«Pour passer de ce rôle-là à une fonction qui n’est plus officielle, redevenir Monsieur et Madame Tout-le-Monde, il y a un deuil à faire, une perte à assumer, confirme la psychologue Anny Wahlen, spécialiste du travail et des organisations, à watson. En particulier dans le cas du président de l'une des plus grandes puissances mondiales, lorsque la visibilité, le pouvoir et les enjeux ont été gigantesques».
Autre motivation qui pousse à s'accrocher? Le départ à la retraite causerait plusieurs effets néfastes sur la santé, la mémoire et les capacités cognitives, en particulier chez les personnes âgées. Une étude publiée par l'Institute of Economic Affairs de Londres en 2013 a révélé que la retraite augmentait de 40% les risques de souffrir de dépression et d'environ 60% la probabilité d'avoir au moins un problème de santé diagnostiqué.
Alors, un homme politique de la trempe de Joe Biden peut-il survivre à la fin de son mandat? «Evidemment, je n’ai pas de boule de cristal. Mais les responsabilités font 'tenir' fonction», glisse Anny Wahlen.
«Sans aller jusqu'au décès, on connait tous quelqu'un qui, sitôt passé le cap de la retraite, est tombé gravement malade peu de temps après et n’a pas pu en profiter», concède la spécialiste.
Toutefois, pas de quoi paniquer à l'idée de votre propre retraite. D’autres recherches ont démontré que les personnes à la retraite complète ont tendance à s’en tirer à moindre mal lorsqu'elles ont préparé leur transition en douceur et se sont trouvé un nouveau but ou rôle social: bénévolat, implication dans la vie citoyenne, associative, voyages, etc.
Le problème de Joe Biden, c'est que la rupture a non seulement été plus ou moins volontaire, mais aussi rapide, nette, brutale. Sous l'immense pression politique, la réflexion de «l'après» ne s'est probablement pas amorcée en l'espace de quelques heures.
Même s’il est probable que l'ancien président trouve un moyen de se rendre utile et de rester actif dans la sphère politique, il ne profite pas de la jeunesse d'un Barack Obama ou du feu revanchard d'un Donald Trump. Il sera libre de choisir entre une retraite tranquille, faite de golf et de barbecues avec ses petits-enfants à Martha's Vineyard, l'île des riches retraités démocrates, ou de suivre la voie d'une reine Elizabeth, qui a trouvé sa propre forme de repos, après une longue vie de bons et loyaux services.
Quoi qu'il en soit, les complotistes de l'alt-right n'ont pas attendu la retraite de Biden pour l'enterrer. Après la révélation de son test positif au Covid-19 et de son abandon de la course à la Maison-Blanche par communiqué écrit, plusieurs trumpistes ont diffusé la rumeur selon laquelle le président serait décédé dans le plus grand secret. Joe Biden a tordu le cou à cette fake news mardi soir, en réapparaissant en chair et en os dans le Delaware.
La preuve qu'il en faudra plus pour achever le 46e président des Etats-Unis.