Il l'avait pourtant juré: sous son administration, «pas un centimètre de mur supplémentaire ne serait construit». Avant même de devenir président, Joe Biden s'était érigé comme un barrage à l'obsession trumpienne d'endiguer l'immigration clandestine. Le démocrate en avait fait un pilier de sa campagne.
Fidèle à sa promesse, quelques heures seulement après avoir posé les fesses dans le Bureau ovale, Joe Biden annonce aussitôt la suspension de la construction entamée par son prédécesseur. «Un mur, ce n'est pas une solution politique sérieuse», balaie-t-il alors. Tout au plus «un gaspillage d'argent».
C'est donc à la surprise générale que le président américain a fait volte-face, ce mercredi, pour annoncer qu'il reprenait les travaux, précisément là où Donald Trump s’était arrêté trois ans plus tôt. Un projet qui passe, en moins de deux jours, d'«inefficace» à un «besoin aigu et immédiat», selon les termes employés jeudi par son secrétaire à la Sécurité intérieure.
Mais comment expliquer que Joe Biden se retrouve aujourd'hui contraint de bâtir le «mur de Trump»? Et à commettre une trahison, après des années de rhétorique farouchement «anti-mur»?
Aussi ahurissante et brutale que semble l'annonce de cette semaine, le président n'avait pas le choix. La faute à une loi héritée de l'ère Nixon, qui empêche le président en exercice de reprendre la main sur des fonds affectés avant son entrée en exercice. C'est précisément le cas des milliards de dollars dédiés à la construction du mur, votés par le Congrès en 2019, sous l'administration précédente.
En 2021, après son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden avait pourtant bien tenté de convaincre le Congrès d'allouer ces fonds à une autre cause. Sans succès.
Les milliards de dollars bloqués depuis plus de deux ans n'iront donc pas ailleurs. Personne n'y peut rien. C'est du moins ce que tente de répéter inlassablement l'administration Biden ces deux derniers jours, face au tollé provoqué par sa décision de relancer le processus de construction.
Mais pense-t-il au moins que les murs frontaliers seront utiles pour régler le problème de l'immigration? l'interroge un journaliste ce jeudi. La réponse de Joe Biden tombe, implacable. Impuissante. «Non». Voilà le président empêtré dans un dilemme insoluble. Dépenser des milliards de dollars pour une solution qu'il juge inefficace.
Ce n'était pas l'avis de Donald Trump, qui en avait fait l'un de ses principaux chevaux de bataille. Au moment de lancer sa première campagne, en 2016, le «mur» qui sépare les Etats-Unis du Mexique existe pourtant déjà. Sur les 3150 kilomètres qui constituent la frontière, on en compte 700 de barrières, dont la taille, la forme et l’âge varient. Un mélange de clôtures basses, hautes, de lattes d'acier, de zones piétonnes et de points de contrôle. D’autres séparations sont le fruit de la nature, fleuves infranchissables ou montagnes escarpées.
Ce qui n'est pas assez au goût du milliardaire républicain, qui s'engage à ériger un mur entier sur toute sa longueur. A son départ de la Maison-Blanche, en 2020, quelque 130 kilomètres de clôtures en acier se sont ajoutés. Des neuves ou, le plus souvent, un simple renforcement de barrières préexistantes.
Il s'agit désormais pour l'administration Biden de reprendre là où le projet Trump s'était arrêté: dans le sud-est du Texas, le long du fleuve Rio Grande. Une zone d'une trentaine de kilomètres de «forte entrée illégale», indique l'avis publié jeudi. Plus de 245 000 personnes ont tenté de pénétrer par ce secteur au cours des dix derniers mois, selon des chiffres publiés par Fox News la semaine dernière.
Et qu'importe si la vallée s'avère être aussi le refuge d'une faune fragile et unique. Pour accélérer la construction de ces nouvelles barrières d'acier, le département de la Sécurité intérieure (DHS) s'apprête à outrepasser plus d'une vingtaine de lois environnementales. Une perspective qui ne provoque pas seulement les hurlements indignés d'une poignée de défenseurs de l’environnement.
Car c'est désormais des deux côtés que le président américain passe pour un hypocrite. Y compris chez les républicains, pourtant fervents défenseurs d'un contrôle implacable de l'immigration. «Joe Biden a semé le chaos à notre frontière pendant trois ans. Maintenant qu'il envisage de perdre face à Trump en 2024, il pense qu'il peut changer d'avis», s'est agacé le républicain William Martin sur X. «C'est dégoûtant, mais cela ne fonctionnera pas.»
Contraint de lancer un projet qu'il désapprouve et juge lui-même inefficace, Joe Biden renvoie désormais l'image d'un président au pied du mur. Impuissant.
Au sein de son administration, les déclarations contradictoires se succèdent depuis deux jours. Pas plus tard que jeudi, la porte-parole de la Maison-Blanche, Karine Jean-Pierre (qui, en 2019, qualifiait le mur de «sectaire» et «raciste») en a fait une affligeante démonstration, face à la question pertinente d'un journaliste de CNN.
Silence embarrassé. «Je n'ai pas vu sa déclaration complète à ce sujet», esquive vaguement l'attachée de presse, s'attirant un nouveau flot de critiques sur les réseaux sociaux, qui hésitent entre «un mensonge» ou la simple démonstration de son «incompétence».
REPORTER: "If the border wall is ineffective, why is the DHS secretary saying that it's 'necessary' to prevent unlawful entries into the United States?"@PressSec: "I have not seen that."
— Nick Sortor (@nicksortor) October 5, 2023
REPORTER: "It's in the notice that went out!"
Either this administration is WILDLY… pic.twitter.com/lVePGDmydi
Construire une barrière de 30 kilomètres ne permettra ni de reconquérir les électeurs ni de résoudre durablement la crise des migrants. La décision de Joe Biden souligne toutefois que la politique frontalière est une question complexe. Une question qui aura des conséquences décisives pour les élections de 2024. En attendant, le président, qui vient de connaître l'un des plus grands échecs de son mandat, offre une victoire éclatante à son adversaire. Il ne s'est pas privé de la savourer. «J'attendrai ses excuses!» a nargué Donald Trump, jeudi, sur son réseau Truth Social.
Sale semaine pour Joe Biden. Lui qui n'a même plus de toutou à caresser lorsqu'il finit sa journée. Après avoir mordu plus de onze agents fédéraux, son cher Commander a mystérieusement «quitté» le domicile cette semaine.