On connaissait Kim Jong-un en chef suprême, leader éclairé, commandant des armées et amateur de gros missiles. On le découvre désormais en promoteur immobilier, dans l’un des pays les plus fermés du monde.
La semaine dernière, le dirigeant nord-coréen a inauguré un projet pharaonique: la station balnéaire de Wonsan-Kalma, une sorte de Las Vegas, les paillettes en moins, la propagande en plus. Au programme: hôtels, parc aquatique, marina, installations sportives, restaurants, boutiques et même une plage artificielle de quatre kilomètres. Le tout livré avec sa dose réglementaire de sourires crispés.
Car ici, on ne bronze pas simplement sur sa serviette en lisant un roman de gare en chantonnant «coquillages et crustacés» avec un rosé piscine à la main: on est là pour célébrer la grrrrrandeur de la nation.
Le complexe est situé à Wonsan, sur la côte est du pays, là où se trouvait autrefois une base militaire utilisée pour des essais balistiques. Aujourd’hui, on y trouve des transats et des piscines à vagues. Tout un symbole.
Le chantier avait été lancé en fanfare dès 2014, puis annoncé pour 2019, puis 2020, puis 2023… Sanctions économiques, pandémie, manque de matériaux: le projet a connu de nombreux obstacles. Mais qu’importe; le dirigeant a enfin pu présenter le site, avec seulement cinq ou six ans de retard. Une broutille, comparé aux travaux de la gare de Lausanne.
Entouré de sa femme et de leur fille, le leader nord-coréen a coupé le ruban en posant pour les caméras. Tout avait été chorégraphié au millimètre près: les familles en tenue de bain alignées façon carte postale, les enfants glissant sur les toboggans, les officiers à lunettes de soleil surveillant la scène à distance. Et le long du parcours, une foule d’admirateurs au bord de l’évanouissement de joie.
Officiellement, la station vise à «améliorer le bien-être du peuple» et à «renforcer l’attrait de la Corée du Nord sur la scène touristique mondiale». Car oui, l’objectif assumé est aussi d’attirer des visiteurs étrangers. Pas vous ni moi, bien sûr; les Occidentaux sont toujours indésirables, sauf exception diplomatique, mais des touristes russes, chinois ou vietnamiens, considérés comme plus compatibles idéologiquement. Un premier groupe de Russes est d’ailleurs attendu dès le 7 juillet, selon l’agence officielle KCNA.
Le complexe peut théoriquement accueillir jusqu’à 20 000 personnes. Encore faut-il pouvoir les nourrir, les loger et surtout… les faire venir. Car si la façade est rutilante, les infrastructures, elles, restent fragiles: routes non terminées, alimentation électrique irrégulière, approvisionnement en eau potable aléatoire. Et côté animation, ne comptez pas sur un DJ set ou une soirée mousse: ici, l’ambiance est davantage «chant révolutionnaire sur fond de coucher de soleil».
Ce projet monumental s’inscrit dans une stratégie plus large de Kim Jong-un: montrer que le pays peut être moderne, attractif, et pas seulement une caricature géopolitique. Depuis des années, le régime investit dans des infrastructures dites «vitrines», pensées moins pour être utiles que pour être montrées. Il y avait déjà eu la rénovation de Samjiyon, la ville modèle près du mont Paektu, entièrement reconstruite en 2019 avec pistes de ski, gymnases et musée du «président éternel» Kim Il-Sung.
Il faut dire que le contexte économique pousse Pyongyang à chercher des alternatives. Depuis l’échec des négociations nucléaires avec Donald Trump, les sanctions se sont intensifiées. Le commerce avec la Chine, son principal partenaire, a chuté. Le Covid a isolé le pays comme jamais. Et même les envois d’argent par les travailleurs expatriés sont désormais étroitement surveillés.
Il y a quelque chose de profondément surréaliste dans ces images de familles en tongs sur fond de slogans marxistes. Un parc aquatique flambant neuf, des hôtels clinquants, une marina quasi vide, le tout posé sur une ancienne zone de tir militaire… Voilà à quoi ressemble la nouvelle vitrine du régime.
Une sorte de paradis artificiel: on promet l’ouverture dans un pays qui reste l’un des plus fermés au monde, et on met du bleu sur les murs, en oubliant que tout autour, c’est du béton gris. Kim Jong-un le martèle: le peuple nord-coréen «mérite aussi de profiter des fruits de la modernité».
Un parc aquatique grand luxe sur une base militaire, des slogans révolutionnaires dans un décor de vacances et une propagande qui glisse comme un gamin sur un toboggan: le dirigeant signe ici un chef-d’œuvre d’absurde version chlorée. On promet du soleil et des sourires… à huis clos. Le résultat? Une station balnéaire à l’image du régime: clinquante, contrôlée, et quasiment inaccessible. Le seul voyage organisé qu’on puisse y faire, c’est sur Google Earth. Et encore.