Peter Nygard est une «success story canadienne qui a mal tourné». Ces mots sont ceux du juge Robert Goldstein, qui a présidé l’affaire en Cour supérieure de l’Ontario. «Peter Nygard est un prédateur sexuel», a-t-il affirmé en prononçant sa peine, lundi, après une flopée de retards et reports dans ce procès.
Arrivé en chaise roulante, l'homme de 84 ans est rongé par le temps. Son histoire est digne des récits dont les productions de cinéma raffolent, par sa démesure et son aspect dégoûtant.
Rembobinons l'histoire.
Le magnat de la mode aux dix enfants avec huit femmes différentes pourrait (presque) reléguer Harvey Weinstein dans un rôle secondaire.
Dans la foulée du mouvement #Metoo en 2018, le New York Times est alerté par un informateur. Peter Nygard, un Canadien né en Finlande en 1941 qui a fait fortune dans la mode, traînerait de grosses casseroles. Il exploiterait et violerait des jeunes femmes dans sa résidence aux Bahamas. Celui qui était pendant longtemps le boss le plus réputé de la mode au Canada est surnommé le «phénomène du polyester» et s'est donné pour mission de créer des habits pour femme à bas prix.
Un perfectionniste dans l'âme, qui «tenait la défaite en horreur», rappelait l'un de ses amis. Avec ses chemises ouvertes et sa crinière, il véhiculait une image de playboy. Il aimait être entouré de femmes nettement plus jeunes que lui. Il en était obsédé, ce qui, parait-il, lui permettait de se sentir jeune. Il disait même lutter contre le vieillissement avec des injections de cellules souches et évoquait l'idée de se cloner, confiait un ami proche au Times.
Avec ses employés, Peter Nygard hurlait des jurons à tire-larigot et dépassait les bornes. Les changements de personnel au sein de sa société étaient nombreux. Son fils, Kai Nygard, confessait dans un documentaire (Peter Nygard, un prédateur dans la mode) que son père était très violent verbalement, écrasant même.
Une ancienne collaboratrice ajoutait face aux caméras de la réalisatrice (Deb Wainwright), à l'origine de Peter Nygard, un prédateur dans la mode:
Le comportement destructeur du patron d'entreprise a fait de gros dégâts. Ses collaboratrices ne souhaitaient même plus voyager avec lui, ni même partager la même pièce que lui. Ses mains étaient trop baladeuses, son comportement déplacé.
Au fil des ans, il a été accusé à plusieurs reprises d’avoir exigé de ses employées qu’elles se soumettent sexuellement. Neuf femmes de Winnipeg, au Canada, et de Los Angeles ont accusé Peter Nygard de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle. La pointe de l'iceberg.
Son avion privé possédait une piste de danse, avec des barres de strip-tease. Et dans le coin, comme le confirme une ancienne collaboratrice, un lit (kingsize) où de jeunes femmes se trémoussaient en attendant le patron.
Ce même appareil qui emmenait son occupant et ses occupantes à Nygard Cay, un complexe majestueux inspiré des tribus Mayas situé aux Bahamas. Le nid de débauche était un lieu de trafic sexuel à échelle industrielle.
Or, derrière le faste, les jacuzzis, la boîte de nuit, les petits fours, l'alcool qui coulait à flot, la demeure bahaméenne avait tout du traquenard «pour jolies femmes dans le besoin», rappelait son ancien assistant personnel et paraphrasant son ancien chef.
Son système de prédation était rondement ficelé, presque démoniaque. Les victimes racontent que les serveurs leur administraient des drogues à leur insu, avant que Nygard ne vienne faire ses emplettes. Selon les dires d'anciens employés de maison, le bonhomme débarquait tard dans la soirée et choisissaient qui il voulait dans son lit.
Son compte en banque (estimé à plus de 900 millions de francs) lui a longtemps permis de détourner l'attention. Il faisait trainer les plaintes. Mieux, il répondait par des plaintes pour diffamation. Mais à force de jouer avec le feu, on se brûle.
C'est le voisin de Peter Nygard qui sera à l'origine de sa chute. Un milliardaire nommé Louis Bacon. La discorde a démarré avec leur chemin d'accès que les deux hommes partageaient, puis avec une histoire de sable lorsque Nygard voulait agrandir sa plage pour y mettre un terrain de beach-volley.
Les plaintes pour nuisance dévoileront un trafic sexuel mené tambours battants, alors qu'il graissait la patte des autorités pour poursuivre ses orgies. Lancé dans une guerre d'égos avec Bacon, Nygard s'est dit persécuté par son méchant voisin, qu'il accusait de modeler une histoire sordide pour se venger du conflit qui les opposait.
Il faut dire que Bacon n'hésitait pas à appuyer là où ça faisait mal, en s'entourant de vétérans du FBI et de Scotland Yard pour faire tomber le magnat de la mode, comme le racontait le New York Times. L'enquête des équipes de Bacon a permis de faire la lumière sur la face sombre de Peter Nygard.
Le vil personnage ravive de vieilles histoires. On pense aux récits sordides de R. Kelly, Jeffrey Epstein ou encore Harvey Weinstein.
Aujourd'hui, courbé par le poids des ans et la maladie, souffrant de diabète de type 2 et d’une vision détériorée, entre autres ennuis de santé, le grand manitou du textile a été rattrapé par son passé. Le juge Goldstein a rappelé qu'une des victimes n’avait que 16 ans à l’époque avant de condamner Peter Nygard à 11 ans de prison.
Mais l'affaire jugée à Toronto ne va pas être la seule. Actuellement, Nygard fait également face à des accusations au Québec, au Manitoba et aux Etats-Unis, rappelle La Presse.
Les médias canadiens rappellent qu'il avait été arrêté pour la première fois à Winnipeg en 2020 en vertu de la Loi canadienne sur l’extradition. Après avoir été accusé aux Etats-Unis de neuf chefs d’accusation, à New York, notamment de trafic sexuel et de racket. De son côté, Nygard continue de nier farouchement les faits.