Ceinture noire de karaté, Jaroslav Pantucek n'a pas peur des durs combats. Comme celui qui l'a mené à décréter officiellement la fin du pétrole russe en République tchèque, après une dépendance longue de 60 ans.
«Quand je suis arrivé au bureau le 4 mars et que mes collègues m'ont annoncé» que plus aucune goutte de brut ne venait de Russie, «j'ai salué un moment historique», raconte le patron du groupe public Mero, qui exploite les oléoducs du pays d'Europe centrale.
L'aboutissement d'une longue bataille entamée un jour de 1997. «Je me suis présenté à l'entretien d'embauche avec un œil au beurre noir», après un vrai combat, s'amuse le responsable habitué des tatamis, aujourd'hui âgé de 65 ans.
Il gravit vite les échelons et quand il prend les manettes en 2005, la nécessité de s'affranchir de Moscou est déjà dans tous les esprits. La dépendance remonte à l'époque communiste: dans les années 1960, la Tchécoslovaquie est reliée à l'oléoduc Droujba acheminant le pétrole russe vers l'Europe.
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Mais les livraisons défaillantes à la chute du régime en 1989 et la scission du pays quatre ans plus tard provoquent un sursaut. «Le premier gouvernement après la révolution était déjà conscient du potentiel de chantage» énergétique de Moscou, explique Jaroslav Pantucek.
En 2008, la Russie réduit soudainement la voilure et Mero cherche alors à diversifier ses sources d'approvisionnement. Jaroslav Pantucek a des vues sur le consortium qui gérait l'oléoduc TAL, transportant depuis le port italien de Trieste du brut importé de la région de la mer Caspienne, du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord. Direction l'Allemagne où il est raccordé à la République tchèque par la canalisation IKL.
Ecarté de Mero par le pouvoir en 2015, il revient peu de temps après l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022. Et là c'est une course contre la montre qui s'engage avec, pour objectif, zéro goutte de pétrole russe. «Je sentais qu'il n'y avait pas de temps à perdre avant que le robinet soit totalement coupé» par Moscou.
Alors que l'Union européenne a réduit progressivement la part du pétrole russe dans ses importations de brut, passée de 27% début 2022 à 3% actuellement, les 10,9 millions de Tchèques ont longtemps bénéficié d'une exemption en raison de leur enclavement géographique. Un sursis précieux pour préparer la suite.
Comment survivre sans l'or noir russe? A ce moment-là, la République tchèque reçoit encore près de 60% de son pétrole via Droujba. Seule solution, doper au maximum les capacités de TAL pour s'assurer d'obtenir les 8 millions de tonnes nécessaires à la consommation nationale annuelle. Et convaincre les partenaires du consortium, parmi lesquels les géants mondiaux Shell, Eni et ExxonMobil, de changer les règles de partage, immuables depuis des décennies.
Un pari relevé par Mero qui a proposé de nouvelles pompes dernier cri et finalement obtenu le feu vert pour rédiger un contrat, validé au bout de sept mois après maintes modifications à la demande des autres parties.
Autre défi, adapter les raffineries tchèques à des mélanges de pétrole non russes à plus faible teneur en soufre, provenant d'Azerbaïdjan, de la mer du Nord, d'Arabie saoudite ou d'Irak.
«Nous faisions tout notre possible pour que tout soit prêt avant fin 2024», relate le responsable, qui avait la peur au ventre à l'idée d'une coupure des livraisons par Moscou avant que le groupe ne soit prêt. Le patron de Mero a quasiment tenu les délais, puisque le sevrage a été effectif début mars 2025.
A l'âge de la retraite, Jaroslav Pantucek est serein, même si le possible retour du milliardaire Andrej Babis à la tête du pays, accompagné de la valse habituelle des postes, pourrait sonner la fin de sa carrière.