Cela pourrait être très simple. Si un pays en envahit un autre, l'acte constitue une violation de la Charte des Nations unies (ONU). La Cour pénale internationale (CPI) de La Haye peut alors agir non seulement pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, mais aussi pour ce que l'on appelle un crime d'agression, ou, en d'autres termes, pour une guerre d'agression. Le président russe Vladimir Poutine sera-t-il donc bientôt jugé pour l'invasion de l'Ukraine?
Ce n'est malheureusement pas si simple. Car bien que les spécialistes du droit international partent du principe qu'il existe depuis longtemps suffisamment de preuves pour juger Poutine et ses hauts fonctionnaires pour crime d'agression, la Cour pénale internationale n'en a pas le pouvoir. Car la Russie n'a pas reconnu le Statut de Rome sur lequel repose la CPI. Pas plus que les Etats-Unis.
Certes, le Conseil de sécurité de l'ONU pourrait également charger la Cour pénale d'enquêter sur un crime d'agression, mais la Russie en est membre permanent — et pourrait bloquer les poursuites avec son droit de veto. Que faire, alors?
L'Ukraine a une idée: elle fait pression pour que l'Assemblée générale des Nations unies mette en place un tribunal international spécial. La Russie n'y aurait pas de droit de veto. Le modèle de ce tribunal serait les procès de Nuremberg, au cours desquels les principaux criminels de guerre ont été amenés à rendre des comptes après la Seconde Guerre mondiale.
Mais l'Occident hésite. Les Etats-Unis en tête.
Comme le rapporte le magazine d'information américain Newsweek, citant des fonctionnaires ukrainiens, les Etats-Unis hésitent à créer un précédent, car ils ont déjà commis des délits à l'étranger pour lesquels ils pourraient également être poursuivis. Plutôt qu'un tribunal spécial de l'ONU sur le modèle du procès de Nuremberg, les partenaires occidentaux se prononcent donc pour un modèle hybride.
Le tribunal spécial serait alors basé sur le droit ukrainien, complété par des «éléments internationaux». La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock (Verts), elle-même diplômée en droit international, avait proposé cette option au début de l'année. L'Ukraine déplore toutefois que cette sorte de tribunal spécial ne lève pas l'immunité juridique dont jouissent les dirigeants politiques du monde entier.
De même, la variante hybride serait probablement moins acceptée si le droit pénal ukrainien, et non international, servait de base. Certains ne manqueraient pas de pointer la partialité du jugement.
Selon la juriste Jennifer Trahan, professeur au Center for Global Affairs de l'université de New York (NYU), ce modèle est insuffisant dans le cadre d'une guerre d'agression. Maintenir l'immunité de Poutine serait «un signal terrible pour d'autres agresseurs en puissance». Elle explique également la réticence des Etats-Unis par la peur de poursuites judiciaires pour leurs propres actes passés.
Anton Korynevych, ambassadeur ukrainien pour la mise en place du tribunal spécial, est persuadé de pouvoir encore convaincre les sceptiques.
Pour que l'Assemblée générale des Nations unies puisse mettre en place un tribunal spécial comme le souhaite l'Ukraine, il faut un nombre suffisant de voix. Un pari difficile sans les Etats-Unis et les grands pays européens, mais pas impossible.
Pour la juriste Trahan, il y a maintenant un «moment à la Nuremberg», a-t-elle déclaré à Newsweek. «Ne gâchons pas tout.»
Traduit et adapté par Noëline Flippe