Pendant des semaines, les sondages, les médias et votre voisine devant les boîtes aux lettres ont répété en boucle: le duel Harris-Trump est tendu. Serré. (Bizarre...)
Certes, le cru 2024 des élections présidentielles américaines n'a pas manqué de tension et de rebondissements aussi inattendus qu'absurdes. Mais ça n’est pas la première fois qu’un scrutin est scruté d’aussi près…
Les élections made in USA, loin d'être toujours des victoires écrasantes, ressemblent parfois davantage à des thrillers de haute voltige. Plusieurs fois dans l'histoire des Etats-Unis, les résultats ont été si serrés, ou l'issue si étrange, qu'on aurait pu entendre le pays retenir son souffle. Et parfois, c'est un nombre dérisoire de voix ou un coup de théâtre parmi les Grands Electeurs qui a décidé du prochain locataire de la Maison-Blanche.
Retour sur trois des élections présidentielles les plus bizarres.
Cette élection restera gravée dans les manuels d'histoire pour son suspense insoutenable et ses multiples rebondissements. Tout commence le soir du 7 novembre 2000. Al Gore, alors vice-président, et George W. Bush, gouverneur du Texas, sont au coude-à-coude. Mais c'est la Floride qui, avec ses 25 Grands Electeurs, détient la clé de la victoire. Les médias annoncent tour à tour un gagnant, puis l'autre, avant de finalement avouer qu'ils n'en savent rien. L'attente commence.
Ce ne sont pas quelques milliers, mais bien quelques centaines de voix qui séparent les deux candidats dans cet Etat. Dans une Floride bouillante et moite – au sens propre comme au sens figuré, tout bascule lorsqu'on se rend compte que le système de comptage est plus une sorte de loterie qu'une science exacte. Des bulletins mal perforés, des «chads» (ces fameuses perforations de papier ballotées à moitié détachées) deviennent le sujet de débats acharnés. On assiste à un véritable feuilleton judiciaire, où chaque recomptage semble redistribuer les cartes.
La bataille juridique monte jusqu’à la Cour suprême, qui finit par mettre un terme au suspense le 12 décembre 2000, après plus d'un mois de doutes et d’incertitudes, en décidant d’interrompre les recomptages. Verdict? George W. Bush est déclaré vainqueur avec une avance de… 537 voix. Un nombre dérisoire face aux millions d’Américains qui ont voté. Le 13 décembre, Al Gore concède la défaite, au milieu des controverses sur la pertinence même de la Cour suprême de s’être saisie de l’affaire.
Les élections de 2016 ont marqué les esprits non seulement pour leur résultat, pour les propos vulgaires de Donald Trump ressortis dans la presse (souvenez-vous du fameux «Grab 'em by the pussy»), mais aussi pour la manière dont ce dernier a conquis la Maison-Blanche. Hillary Clinton, ex-secrétaire d'Etat et figure démocrate incontournable, est donnée favorite par les sondages. Le soir des élections, elle remporte même le vote populaire, avec près de 2,9 millions de voix d’avance sur Trump. Une victoire? Pas tout à fait…
Car le système des Grands Electeurs, cette exception américaine qui transforme chaque Etat en petit bastion, fait basculer la victoire en faveur de Trump.
Tandis que Clinton triomphe dans des Etats densément peuplés comme la Californie et New York, Trump s'impose dans des régions du Midwest et de la «Rust Belt» (la «ceinture de la rouille», en l’occurrence en Pennsylvanie, dans le Michigan, et le Wisconsin), des Etats traditionnellement démocrates qui lui offrent leur poids en Grands Electeurs. Résultat: Trump obtient 304 Grands Electeurs contre 227 pour Clinton.
Un succès électoral net, mais paradoxal. Pour la démocrate, la défaite est amère, et pour ses partisans, il s'agit d'une énigme quasi existentielle: comment le système peut-il permettre un tel écart entre la volonté populaire et le résultat final? Le système électoral américain fait souvent l’objet de critiques… et particulièrement cette fois-ci.
Si l’élection de 1960 avait été un sprint, elle se serait jouée à un cheveu. John F. Kennedy, jeune sénateur démocrate au sourire ravageur, affronte le vice-président sortant, Richard Nixon. L’avenir d’une Amérique en pleine Guerre froide et en quête de renouveau est en jeu.
Les deux candidats jouent des coudes dans une course acharnée, tandis que le pays assiste, pour la première fois, à des débats télévisés. Kennedy séduit par sa prestance, son teint hâlé, son air avenant. Nixon, lui, apparaît épuisé, mal à l’aise… et mal rasé. Un contraste visuel saisissant pour une nation qui découvre le pouvoir de l’image.
La nuit électorale est un vrai marathon. Kennedy finit par s’imposer avec seulement 0,17 % d’avance sur Nixon dans le vote populaire. Ce qui signifie que, du côté des chiffres, Kennedy a recueilli 34,2 millions de voix, contre 34,1 millions pour Nixon, soit une différence de 112 827 voix. Du côté des Grands Electeurs, Kennedy prend également l'avantage, mais le résultat reste incroyablement serré: 303 pour Kennedy contre 219 pour son adversaire. Nixon accepte sa défaite sans broncher.
Cette élection reste dans la mémoire collective comme l’une des plus disputées de son époque et symbolise un tournant dans l’histoire de la politique américaine, où le charisme est devenu une arme de campagne, une arme aussi redoutable qu’un programme.
Si l’élection présidentielle est souvent présentée comme le choix souverain du peuple, ces exemples montrent que le système électoral américain peut jouer des tours imprévus. Avec ses Grands Electeurs et ses recomptages chaotiques, il a offert des victoires aussi inattendues que controversées.
Que ce soit en Floride en 2000, avec des bulletins de vote à peine marqués, dans une «Rust Belt» divisée en 2016, ou dans un face-à-face historique en 1960, ces batailles électorales montrent à quel point le destin d’un pays peut se décider sur un fil.
L’élection qui se joue en ce moment même sous les yeux du monde entier, avec ses multiples rebondissements (citons seulement le retrait de Biden ou les tentatives d’assassinat sur Trump pour ne pas faire une parenthèse à rallonge) promet d’ores et déjà de rester, elle aussi, dans les annales de la politique américaines.