C'est un scrutin suivi de près dans le monde entier. Pourtant, le fonctionnement de l'élection présidentielle américaine, avec ses «Etats clés», ses «grands électeurs» et ses expressions nébuleuses comme «winner takes all» sème parfois la confusion. Ces concepts expliquent en partie pourquoi les élections sont souvent si serrés dans l'histoire politique des Etats-Unis et pourquoi elles s'annoncent plus cric-crac que jamais, ce 5 novembre, pour départager la candidate démocrate Kamala Harris et le républicain Donald Trump.
A noter que Trump et Harris ne seront pas tous seuls sur les bulletins de vote: les Américains pourront opter pour trois autres candidats. Outre les partis traditionnels républicain et démocrate, la candidate Jill Stein représente le Parti vert, Chase Oliver est le candidat du Parti libertarien et Cornel West se présente sous bannière indépendante. Chacun est susceptible de capter une poignée de voix.
En réalité, les Américains ne votent pas directement pour leur président, mais pour les «grands électeurs»: 538 personnes, des personnalités politiques désignées pour avoir rendu un service au parti ou au candidat: adhérents, lobbyistes, officiels locaux ou même politique à la retraite. Les grands électeurs forment un collège électoral qui se réunit quelques semaines après le vote populaire pour en ratifier le résultat.
Les 50 Etats américains disposent tous d’un certain nombre d’électeurs en fonction de leur population. La Californie, par exemple, qui compte près de 40 millions d'habitants, dispose de 54 voix au collège électoral, tandis que le Dakota du Nord, qui compte environ 762 000 habitants, n'en dispose que de trois.
La plupart des Etats appliquent une règle nommée «winner takes all» (le «vainqueur rafle tout», en français). Le candidat qui remporte le plus grand nombre de voix se voit attribuer la totalité des votes du collège électoral de l'Etat. Si Kamala Harris remporte la Californie le 5 novembre, elle raflera par la même occasion ses 40 électeurs. Seuls deux Etats, le Maine et le Nebraska répartissent leurs votes électoraux proportionnellement.
Vous l'avez compris: le vainqueur de l'élection présidentielle n'est donc pas celui qui obtient le plus de voix à travers le pays. Ce qui explique pourquoi, en 2016, par exemple, Hillary Clinton avait beau avoir obtenu le plus grand nombre de voix à l’échelle nationale, c'est son rival Donald Trump qui avait remporté la présidence, avec l'aide du collège électoral.
Le premier candidat à obtenir 270 voix sur les 538 remporte la présidence. Lors des dernières élections, Joe Biden a ainsi raflé la victoire avec 306 voix d'avance - contre 232 pour Trump.
Comme la plupart des Etats du pays penchent fortement en faveur du parti républicain ou en faveur du parti démocrate, l'attention se porte généralement sur la petite dizaine d'Etats dont le coeur balance: les «Etats-clés» ou swing states, qui ont tendance à changer d'une élection à l'autre. Des Etats sur lesquels les prétendants à la Maison-Blanche concentrent tous leurs efforts et alignent les meetings.
Cette année, la Pennsylvanie, la Géorgie, le Wisconsin, la Caroline du Nord, le Michigan, l'Arizona et le Nevada sont considérés comme les swing states qui joueront un rôle décisif. De petites marges dans ces quelques Etats feront la différence entre une nouvelle présidence de Donald Trump ou une victoire de la vice-présidente Kamala Harris.
Quid si aucun candidat n'obtient la majorité absolue de 270? Dans cette hypothèse, la Chambre des représentants élirait le président par le biais d'une élection contingente, au cours de laquelle les représentants voteraient pour le président en fonction des trois candidats arrivés en tête. Toutefois, cela ne s'est produit que trois fois dans toute l'histoire des Etats-Unis - et la dernière remonte à plus de 200 ans.
La plupart des citoyens américains âgés de 18 ans ou plus peuvent voter à l’élection présidentielle. Il existe quelques exceptions dans certains Etats, où des individus peuvent se voir priver de ce droit après avoir été reconnus coupables d’un crime (grave et passible de plus d’un an de prison) ou s'ils purgent une peine de prison pour une infraction moins grave. La plupart exigent que les citoyens soient inscrits au préalable avant de pouvoir glisser le bulletin dans l'urne.
Ce qui nous amène à la seconde question: la forme du vote. Comme en Suisse, les Américains votent à l’aide de bulletins de vote. La plupart se rendent en personne dans leur bureau de vote local. Le jour du scrutin, les bureaux de vote ouvrent généralement entre 5h et 7h et ferment entre 18h et 20h, dans trois fuseaux horaires différents. Le décompte commence après la fermeture des bureaux de vote. En général, le nom du vainqueur est connu à 23 heures, heure de l'Est (5 heures du matin en Suisse).
L'habitude d'aller voter en personne est toutefois en passe de changer depuis la pandémie de Covid-19. En 2020, alors que le Covid fait rage, le nombre total de bulletins de vote par correspondance est grimpé à 66,4 millions - contre 28,8 millions en 2016. Le décompte et la publication des résultats avaient alors été retardés dans plusieurs Etats clés. Le même risque guette cette année, alors que plusieurs millions d’Américains auront déjà voté par correspondance ou par vote anticipé.
Si toute l’attention sera portée sur le futur occupant de la Maison-Blanche, les électeurs devront également se prononcer sur d'autres sujets. A commencer par les nouveaux membres du Congrès, composé de la Chambre des représentants et du Sénat - où respectivement 435 et 34 sièges sont à pourvoir. La Chambre des représentants se trouve actuellement aux mains des républicains, pendant que les démocrates sont aux commandes du Sénat.
Cette élection aura des conséquences majeures sur le futur mandat présidentiel; il incombe à ces deux chambres de voter les lois et de servir de levier aux projets de la Maison-Blanche si le parti au pouvoir dans l’une ou l’autre chambre est en désaccord avec le président.
Ce n'est pas tout. De nombreux Américains devront également voter à l'échelle locale. Quelque onze gouverneurs, deux territoires, dix procureurs généraux doivent être élus dans différents Etats. Sans oublier plusieurs propositions législatives et initiatives citoyennes qui seront soumises au vote ce jour-là. Dans le Montana, par exemple, les électeurs décideront s'ils souhaitent ou non protéger le droit à l'avortement dans la constitution de l'Etat.
La présidentielle américaine est agendée au «mardi suivant le premier lundi de novembre», et ce depuis 1845. A l'époque, la société était essentiellement agraire et paysanne. Dans les zones rurales, le bureau de vote le plus proche pouvait se situer à plusieurs kilomètres et il fallait parfois prévoir jusqu'à deux jours de trajet pour s’y rendre. Puisqu'il était hors de question d'être absent le dimanche (culte à l'église oblige) ou le mercredi jour de marché pour les agriculteurs, le jour du scrutin ne pouvait pas avoir lieu le lundi ou le jeudi. Le mardi semblait l'option la plus viable aux yeux des législateurs.
Quant au mois de novembre, il était alors idéal pour éviter d'empiéter sur la saison des plantations et des récoltes. Un juste milieu entre les perturbations agricoles et les hivers très rudes, où se rendre dans un bureau de vote aurait été plus difficile. Quant au mardi «après le premier lundi»... il s'agit d'un moyen d'éviter que l'élection ne tombe un 1er novembre, considéré comme défavorable (la Toussaint).
Cela dit, cette tradition pourrait fort ne pas s'éterniser, étant donné que moins de 2% des Américains travaillent désormais dans l’agriculture, selon l'encyclopédie en ligne Britannica, et que de nombre d'entre eux travaillent le mardi. Le taux de participation électorale ayant diminué au fil du temps, il a été suggéré que les élections soient reportées au week-end.
Une autre proposition était de maintenir le jour du scrutin au mardi, à condition d’en faire un jour férié fédéral. Bien que ces efforts n’aient pas été couronnés de succès, la possibilité de plus en plus répandue de voter de manière anticipée et par correspondance a eu pour effet de rendre le jour du scrutin moins important dans l’expérience électorale qu’il ne l’était autrefois. Verdict ce 5 novembre.