J’ai testé Hooters, ce fantasme américain en faillite
C’est peut-être la faute de la chaleur de Floride. Ou du fait que je venais de passer deux heures au Daytona International Speedway, circuit automobile historique américain, à regarder des mâles alpha s’extasier devant des moteurs rugissants.
Car en sortant, quand j’ai vu le Hooters juste en face, je me suis dit qu’il fallait aller au bout du cliché. Le poulet frit made in Hooters, c’était un peu mon boss de fin de cette journée déjà too much.
En Europe, on connaît Hooters comme on connaît Hollywood: à travers les films, les fantasmes et les blagues graveleuses. Ce n’est pas tant un restaurant qu’une idée, une caricature ambulante. Une enseigne devenue culte, pas pour ses ailes de poulet, mais pour ses serveuses aux uniformes si… caractéristiques. Short orange microscopique, débardeur blanc, et sourire collé au gloss, ou l’inverse. Alors quand j’ai vu le logo avec le fameux hibou, je me suis dit:
Sur le parking, ce n'est pas la foule des grands soirs. Juste quelques trucks poussiéreux. Peu importe, j’entre. Salle boisée. Vibe «cabane masculine qui pourrait sentir le musc si elle ne sentait pas autant la frite».
Et là encore, le même constat: c’est vide. J’aurais pu m’en douter, si le parking est désert, l’intérieur le sera aussi; il y a assez peu de monde pour se déplacer à vélo à Daytona.
Un poulet mou
Une serveuse me salue avec un grand sourire et m’installe. Très gentille. Je commande un Coca. Elle me lance un «Is Pepsi ok?». Je hoche la tête, ça m'est égal, ça donne le même diabète. Elle revient avec un verre immense, un seau de Pepsi, rempli de glaçons, assorti à cette saloperie de clim’ qui m’a déjà valu une petite crève dans cette Floride pourtant si torride.
Sur les murs, des télévisions partout. Au moins dix, dans cette seule salle. Les écrans muets diffusent un talk-show politique sur Fox News, une rediffusion de match de football américain avec Travis Kelce, le mec de Taylor Swift (il est partout, même ici), et des publicités de tondeuses. This is America.
La playlist, elle, semble sortie d’un jukebox rouillé: du vieux rock, un soupçon de country, et Rihanna qui chante Breakin' Dishes comme pour nous rappeler qu'on est dans un monde parallèle, coincé entre les années 80 et 2000, grand max.
Je commande un burger au poulet avec sauce «hot». Il arrive en cinq minutes chrono. A croire qu’il était déjà prêt, qu’il m’attendait, le coquin.
Ni bon ni mauvais. Sans texture. Sans sel. Sans panache. Sans intérêt. Il semble avoir été cuit à l’eau puis noyé dans une sauce vaguement piquante. Si un Five Guys vaut 8/10, un McDo 5/10, ce plat-là atteint à peine le 3.
Le strict minimum gustatif. Juste de quoi remplir un estomac. C’est fonctionnel, c’est tout.
Des routiers et des dettes
Autour de moi, quelques clients seulement. A part un couple, il y a exclusivement des hommes. Seuls. Beaucoup ont la moustache de biker, des t-shirts patriotiques ou des slogans pro-armes. On croirait des figurants de série B, un peu entre Patrick Sébastien et feu Hulk Hogan. Tous âgés d’au moins 60 ans. Comme s’ils avaient grandi et vieilli en même temps que Hooters, nostalgiques d’un temps où ce genre d’endroit était à la mode, presque transgressif.
Pour la petite histoire, Hooters, qui veut dire «chouette» mais aussi «nichons», est né il y a un peu plus de 40 ans en Floride. L’ado n’a visiblement pas encore mûri. Les déboires financiers entourant la chaîne prennent tout leur sens.
Car Hooters est en redressement judiciaire. En mars dernier, la maison mère Hooters of America s’est placée en procédure de faillite encadrée. Près de 30 établissements ont déjà fermé. La chaîne, jadis emblème kitsch du «rêve américain», croule sous les dettes, les fermetures et une image qui peine à survivre à l’ère du post #MeToo et de la livraison à domicile.
Mais à Daytona, on tient bon. Ou du moins, essaie. Une vieille photo du personnel trône sur un mur. Impossible de savoir si elle date de dix, vingt ou trente ans. L’image est fanée. Comme si l’endroit n’avait pas changé, ou n’avait pas voulu changer, pendant que le monde, lui, avançait.
Un selfie et bye
Je termine mon repas: 22 dollars (un peu plus de 17 francs, tips compris) pour une expérience sociologico-gastronomique. Avant de partir, j’ose demander à ma serveuse si on peut faire une photo ensemble.
Elle accepte avec un sourire mécanique, tire un peu sur son débardeur, et prend la pose. Un geste qu’elle a dû faire mille fois. Elle m’explique qu’il n’y a pas de problème, que ça fait partie du folklore.
En quittant le restaurant, certains des Patrick Sébastien du Midwest me saluent. L'un d'eux me regarde de haut en bas. Je hoche la tête en pinçant les lèvres, un brin agacée de me faire mater comme de la viande. L’un d’eux porte un t-shirt «God, Guns, and Glory».
Je traverse à nouveau le parking vide, repasse devant les trucks, avec le Daytona Internation Speedway en arrière plan. Le contraste est saisissant. Là-bas, la vitesse, le bruit, l’adrénaline. Ici, le silence d’une Amérique qui s’accroche à ses icônes vieillissantes.