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Russie: la mort de Navalny cache de nombreux mystères

Alexeï Navalny est mort vendredi dernier dans la prison IK-3, en Sibérie.
Alexeï Navalny est mort vendredi dernier dans la prison IK-3, en Sibérie.image: keystone/watson

L'étrange timing de la mort de Navalny

Que s'est-il réellement passé le jour de la mort d'Alexeï Navalny? Les recherches menées par les médias russes révèlent de nombreuses incohérences.
20.02.2024, 05:4920.02.2024, 07:33
Christoph Cöln / t-online
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Qualifier Vladimir Poutine de dictateur est justifié. Le Kremlin lui-même l'a confirmé, en décembre 2022. «Il n'y a pas de pouvoir plus grand que la parole du président», avait à l'époque déclaré le président du Conseil de la Fédération, la chambre haute du Parlement, fidèle à Poutine.

Même selon des critères scientifiques, la Russie peut désormais être considérée comme une dictature. Aucune décision importante n'est prise sans l'accord de l'homme fort du Kremlin. Ainsi, tous les experts (occidentaux) se sont rapidement accordés à dire qu'Alexeï Navalny était très probablement mort de manière non naturelle. L'opposition russe et les défenseurs des droits de l'homme accusent même le pouvoir russe de meurtre.

Des indices sérieux laissent penser que le Kremlin pourrait être directement impliqué dans la mort de Navalny. Le média indépendant russe Meduza fait état, en se référant au site internet des droits de l'homme «Gulagu.net», de nombreuses bizarreries en rapport avec la mort de l'opposant. Par exemple, l'implication des services secrets intérieurs russes (FSB).

Visite de deux officiers du FSB?

Le site «Gulagu.net» a réussi à entrer en contact avec un co-détenu de Navalny, lequel décrit les événements survenus la avant l'annonce officielle de sa mort. Celle-ci a été datée au 16 février. Pourtant, dès la veille au soir, deux officiers du FSB seraient venus à la colonie pénitentiaire IK-3, où l'opposant purgeait sa peine, et auraient démonté des caméras et des appareils d'écoute.

Elles «auraient pu enregistrer ce qui s'est passé le 15 février avec Alexeï Navalny», selon le détenu. D'après «Gulagu.net», cette visite a même été mentionnée dans un rapport d'une branche du service pénitentiaire fédéral du district autonome de Iamalo-Nénétsie, où se trouve la prison.

Comme le rapporte encore la Novaïa Gazeta Europe, une «émeute» aurait eu lieu le soir en question dans le camp pénitentiaire, et ce, parce que le personnel de garde avait effectué un contrôle accéléré en soirée. C'est très inhabituel, car un tel contrôle n'a lieu normalement qu'avant les jours fériés. Un détenu résume au journal:

«Ils nous ont enfermés dans les baraques, nous ont avertis de ne pas nous déplacer entre les baraques et ont renforcé la garde»

Le codétenu parle en outre du fait que l'agitation s'est poursuivie le matin du 16 février. Selon lui, le personnel de surveillance aurait confisqué temporairement «des téléphones portables, des cartes et même des chaudières», les détenus soupçonnant une inspection générale. Cependant, une telle inspection est généralement annoncée des semaines à l'avance.

La colonie pénitentiaire IK-3, où Navalny est décédé.
La colonie pénitentiaire IK-3, où Navalny est décédé.Keystone

Un timing douteux

La chronologie de l'annonce du décès d'Alexeï Navalny est également surprenante. Selon les informations officielles des autorités russes, la mort de l'opposant serait survenue le 16 février à 14h17. Après une «promenade», l'homme de 47 ans se serait soudainement plaint d'un malaise puis aurait perdu connaissance.

Deux minutes plus tard, à 14h19, le service pénitentiaire fédéral pour le district de Iamalo-Nénétsie a publié un communiqué de presse sur son site officiel, écrit «Gulagu.net». Et à nouveau, une minute plus tard, à 14h20, les agences de presse publiques Tass et Ria Novosti ont annoncé la mort du «bagnard Navalny».

Elles ont cité le communiqué du service pénitentiaire selon lequel «toutes les mesures de réanimation nécessaires ont été prises sans résultat positif». «L'équipage de l'ambulance a déclaré le décès du condamné», ont-elles ajouté. Il n'est pas clair comment les agences de presse publiques ont pu obtenir si rapidement les informations sur la mort de Navalny et les rapporter ensuite sur leur site.

Mais ce n'est pas tout: six minutes après le décès officiel de Navalny, à 14h23, le canal Telegram 112, proche des autorités publiques, savait déjà que les autorités russes considéraient un «caillot de sang» comme la cause probable de la mort. Et à 14h30, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov confirmait que Poutine a été informé de la mort de l'opposant - moins d'un quart d'heure après que le décès était censé être survenu.

Les défenseurs des droits de l'homme de «Gulagu.net», ainsi que les proches du dissident, se demandent comment les autorités peuvent déjà mentionner la cause «caillot de sang» si peu de temps après l'annonce de la mort de Navalny. Ils supposent qu'il aurait pu être tué la nuit précédente.

Pas de médecin légiste

Les bizarreries continuent. Car ce lundi, trois jours après la mort de Navalny, ses proches n'avaient toujours pas eu accès à son corps. Sa mère, Lyudmila Navalnaya, n'avait reçu que l'avis de décès à la prison. Bien qu'elle ait été informée que son corps se trouvait dans la ville de Salekhard pour y être examiné, les avocats n'ont pas pu y localiser le défunt dans un premier temps.

Selon les défenseurs des droits civiques, plus de 12 000 personnes en Russie ont demandé dans un appel à ce que le corps de l'homme politique décédé soit remis à ses proches. La plate-forme OWD-Info n'a lancé la pétition que samedi en fin d'après-midi. La remise doit se faire rapidement, peut-on lire dans la déclaration:

«Au moins après sa mort, Alexeï Navalny devrait être auprès de ses proches»

Le fait que le corps soit entre-temps conservé à la morgue de l'hôpital de district de Salekhard, à environ 50 kilomètres de la prison, est également une procédure inhabituelle, selon la Novaïa Gazeta. Normalement, les corps des personnes décédées dans la colonie pénitentiaire sont confiés à un médecin légiste et non à la morgue de l'hôpital de district, a écrit le journal en se référant à un ambulancier du service médical d'urgence de Salekhard.

«Ils ont conduit le corps à la morgue [de la clinique], l'ont poussé à l'intérieur et ont ensuite placé deux policiers devant la porte pour surveiller l'entrée. Ils auraient tout aussi bien pu mettre un panneau disant: "Il se passe quelque chose de mystérieux ici"», a déclaré l'ambulancier. Le corps du défunt présenterait des bleus.

Quelque chose a été dissimulé

Y a-t-il eu une lutte dans la prison avant la mort de Navalny? Et comment les autorités peuvent-elles informer sur la cause du décès alors qu'aucune autopsie n'a encore eu lieu? Le corps de l'opposant pourrait apporter des éclaircissements à ce sujet.

Cité par l'agence de presse allemande DPA, l'avocat Evgueni Smirnov craint que les enquêteurs de l'Etat ne cachent la dépouille au public pendant longtemps. Une procédure pénale pourrait ainsi être engagée après la première vérification, afin de procéder à d'autres manipulations. «Trouver une raison juridique pour garder le corps durant des mois, voire plus, est très facile», a-t-il souligné. A ses yeux, si Navalny n'est pas remis à ses proches dans les cinq jours, il y a de forts soupçons que le Kremlin ait quelque chose à cacher.

Après une attaque, en 2017.
Navalny avait été attaqué en 2017.Image: AP Navalny's campaign pool

D'autres observateurs supposent que les autorités ne rendront pas le corps de Navalny pour le moment en raison des prochaines élections présidentielles en Russie. Ils craignent que l'enterrement de l'opposant ne déclenche des protestations au sein de la population, ce qui pourrait être malvenu pour Poutine. Le chef du Kremlin, qui a spécialement modifié la Constitution il y a quatre ans pour pouvoir briguer un nouveau mandat, veut se faire élire président pour la cinquième fois. Il est certain que cette élection sera un simulacre de vote, comme c'est souvent le cas dans les dictatures.

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

Alexeï Navalny (1976-2004)
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Alexeï Navalny (1976-2024)
Navalny assiste à une audience au tribunal de la ville de Moscou, à Moscou, Russie, le 30 mars 2017.
source: sda / sergei ilnitsky
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