La «pop star préférée de Poutine» scandalise la Russie
En Russie, un nouveau phénomène est apparu: «l’effet Dolina». Depuis les années 1980, la chanteuse Larissa Dolina distillait ses morceaux, mais à 70 ans, elle n’avait plus connu de véritable succès depuis longtemps. Aujourd'hui, cette star proche de Vladimir Poutine se trouve au cœur d’un scandale national. Non pas à cause de sa musique, mais d’un appartement.
Un appartement qu’elle avait vendu en 2024 dans des circonstances douteuses. Pour 112 millions de roubles (un peu plus d'un million de francs) – un prix nettement inférieur à la valeur du marché – le bien immobilier situé à Moscou devait changer de propriétaire et revenir à une autre femme.
Après avoir versé la somme, l’acquéreuse raconte que Larissa Dolina avait affirmé avoir été manipulée et mise sous pression par des escrocs. Pour des raisons inexpliquées, la chanteuse aurait ensuite transféré l’argent de la transaction à ces mêmes escrocs. Larissa Dolina avait finalement porté l’affaire devant la justice. Désormais rendu, le jugement a décidé que Larissa Dolina allait récupéré son ancien appartement, au détriment de la nouvelle propriétaire.
Poutine est-il intervenu?
Quatre des escrocs présumés ont été condamnés le 28 novembre par un tribunal de Moscou à des peines allant de quatre à sept ans de prison. L’acheteuse, Polina Lurje, n’a, selon ce jugement, droit à aucun au remboursement, même si elle ignorait l’existence de l’arnaque et avait bien transféré l’argent à Larissa Dolina. Selon le tribunal, pour récupérer son argent, Polina Lurje devra engager une action séparée contre les escrocs.
C'est le jugement, qui a permis de rendre l’appartement à Larissa Dolina sans qu’elle doive restituer le prix de vente à l’acheteuse, qui a massivement indigné.
D’autant que, tant le verdict apparaît injuste, la rumeur s’est rapidement répandue selon laquelle Vladimir Poutine serait intervenu personnellement dans l’affaire. Il n'existe aucune preuve à ce sujet, mais le fait qu'une personnalité connue ait été favorisée de la sorte a électrisé le débat public en Russie.
La colère s’est tournée contre Larissa Dolina
La colère ne vise pourtant ni le chef de l’Etat ni corromption du système judiciaire. C’est contre celle qu'on qualifie parfois de «pop star préférée de Poutine» que la haine est dirigée. Certains de ses fans ont rendu leurs billets de concert, et des organisateurs ont annulé des spectacles de la chanteuse.
Le prestigieux restaurant moscovite Café Pouchkine ne veut notamment plus accueillir Larissa Dolina, qui devait s’y produire lors du Nouvel An. Les billets étaient vendus à 95 000 roubles, soit plus de 1000 francs chacun. Mais peu après le jugement, le programme a été modifié. A la place de Larissa Dolina se produiront désormais un quatuor à cordes et un groupe de reprises.
L’industrie du cinéma a elle aussi réagi. Selon certains médias, Larissa Dolina pourrait être entièrement coupée d’un film russe qui sortira en salles le 11 décembre.
Un précédent aux conséquences considérables
Le scandale a désormais pris une telle ampleur que le monde politique ne pouvait plus rester en retrait. A la Douma, le Parlement russe, on débat désormais de modifications de la loi.
Au centre des discussions se trouve la proposition d’assortir les transactions immobilières d’un délai de carence de sept jours. Durant cette période, il serait possible d’annuler l’opération, notamment lorsqu’il existe des soupçons de manipulation.
Les juristes parlent d’un précédent aux conséquences considérables. Parmi les acheteurs immobiliers, la crainte se répand qu’ils puissent être victimes de «l'effet Dolina», soit acheter un appartement, en payer le prix, puis devoir finalement le rendre à son ancien propriétaire sans récupérer son argent.
La frustration d’une société épuisée et intimidée
Pour de nombreux Russes, Larissa Dolina est devenue une projection de leurs peurs. La chanteuse incarne un système où le pouvoir et la proximité avec l’élite semblent compter davantage que le droit et la loi.
Mais contrairement au régime lui-même – toute critique peut entraîner des conséquences pénales –, la colère contre Larissa Dolina peut s’exprimer sans danger. Et c’est précisément ce qui fait d’elle une cible.
Dans sa chronique pour la Deutsche Welle, le politologue Iwan Preobraschenski écrit:
La colère ne vise pas le système, mais une personne
Larissa Dolina est devenue un point qui crystalise les mécontentements des groupes de population les plus divers. Iwan Preobraschenski explique:
Et cela malgré un mécontentement massif envers le pouvoir, une baisse progressive du niveau de vie, les salaires massivement impayés et une profonde désillusion face à une guerre qui n'en finit pas. Iwan Preobraschenski résume:
Ainsi, le public russe ne dirige pas sa colère contre le gouvernement, mais contre une figure qui bénéficie de tout un système politique.
Traduit de l'allemand par Joel Espi

