Si l'on en croit les personnes qui s'y connaissent, il se passerait depuis des années à peu près la même chose derrière les murs épais du Kremlin que dans un drame de Shakespeare. En pire. Luttes de pouvoir, intrigues, accords secrets et morts incohérentes. Tels sont, selon les initiés, les ingrédients dont est faite la cour du dirigeant totalitaire Vladimir Poutine.
Des généraux émérites disparaissent du jour au lendemain, d'anciens favoris du Kremlin sont jetés par la fenêtre de leur bureau ou d'éminentes figures de proue du poutinisme s'installent à l'étranger: comme récemment la multiple championne olympique Yelena Isinbayeva qui semble désormais mener une vie de luxe à Ténériffe.
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Mais le cas le plus étrange est celui d'Evgueni Prigojine, autrefois l'un des hommes de main les plus utiles de Poutine. On ne l'a presque plus vu depuis l'échec du soulèvement de fin juin.
Comme l'analyse le groupe de réflexion américain ISW dans son dernier point de situation, le Kremlin devrait à nouveau durcir sa position contre le patron de Wagner:
Il semblerait que Poutine veuille, par cette campagne, créer un fossé entre Prigojine et les commandants de la troupe de mercenaires. Les combattants de Wagner avaient assuré à la mi-mai le plus grand succès de l'armée russe, jusqu'à présent, en s'emparant de la ville de Bakhmout dans l'est de l'Ukraine après des mois de combats.
Prigojine avait alors intensifié ses attaques contre le commandement militaire russe et avait finalement entamé la «marche sur Moscou» pour «convaincre» son confident de longue date, Poutine, de renvoyer le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou. La mutinerie a échoué.
Le fait qu'il ait été revu vivant par la suite avait surpris de nombreux experts. Normalement, ceux qui s'opposent ouvertement au dirigeant Poutine ne survivent pas longtemps en Russie. En revanche, en plus d'avoir participé à une rencontre avec le président fin juin, Prigojine est également apparu en juillet en marge de l'important sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg.
L'expert russe Alexander Gabuev du Carnegie Russia Eurasia Centre a donc récemment supposé dans le Spiegel que:
Les mercenaires Wagner sont notamment actifs en Libye, au Mali, en République centrafricaine et au Niger, où le président démocratique Mohamed Bazoum a été destitué fin juillet par des putschistes.
Après une phase de calme relatif entre Poutine et Prigojine en juillet, le despote russe tente manifestement de discréditer et d'isoler à nouveau le patron de Wagner, selon les informations d'ISW. Les combattants de Wagner doivent ainsi être ramenés en Russie depuis la Biélorussie, où nombre d'entre eux s'étaient exilés après l'échec de la révolte. Ils ont ensuite été intégrés dans les formations de l'armée russe.
En effet, selon des informations non confirmées, certains des mercenaires auraient quitté la Biélorussie et seraient désormais de retour en Russie. La raison en est également que le dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko refuse apparemment de payer les combattants. Tout comme le Kremlin.
Parmi les blogueurs militaires russes, on spécule sur le fait que les mercenaires de Wagner pourraient plutôt se consacrer à nouveau à des missions en Afrique, où l'organisation de Prigojine doit aider à mettre les seigneurs de guerre et les putschistes au pouvoir. En contrepartie, le groupe Wagner obtiendrait probablement des contrats lucratifs pour l'exploration de ressources minières.
Selon l'ISW, Poutine est de plus en plus préoccupé par le fait que Prigojine pourrait le gêner dans ses projets à long terme. Il aurait donc fait en sorte d'intensifier la campagne de discrédit contre l'oligarque. «Si c'est vrai», écrivent les analystes américains, «cela pourrait signifier que Poutine a redonné la priorité à son objectif initial de faire tomber Prigojine et de le séparer clairement du reste du groupe Wagner».
Le scientifique Alexander Gabuev répond à la question de savoir pourquoi Poutine met en scène de telles intrigues contre l'entrepreneur et oligarque de 62 ans au lieu de simplement le liquider, comme c'est généralement le cas dans les dictatures.
Selon Gabuev, Prigojine pourrait posséder une collection de matériel compromettant sur les dirigeants russes. Ce moyen de pression, très apprécié des services secrets russes, appelé «kompromat», pourrait être une sorte d'assurance-vie pour le chef mercenaire. «Avant d'éliminer Prigojine, il faut savoir quelles informations il cache, et où», a déclaré Gabuev.
Traduit et adapté par Nicolas Varin