«Le solutionneur de problèmes de Poutine» a démissionné
Très tôt, il a appris à dire non. C'était en août 1991. A Moscou, l'armée tentait un coup d'Etat. Le dernier président soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, séjournait dans sa datcha d'été en Crimée, Saint-Pétersbourg portait encore le nom révolutionnaire de Leningrad. Le Comité d'Etat pour l'état d'urgence, comme se nommaient les insurgés, essaya aussi de prendre le pouvoir dans l'administration municipale.
Mais un jeune juriste s'opposa aux putschistes: le chef du service juridique, Dmitri Kozak:
Peu après, Kozak a rencontré un autre homme ambitieux à la municipalité de Leningrad: Vladimir Poutine. Tous deux sont restés inséparables pendant près de 30 ans. La semaine dernière, Kozak, aujourd'hui âgé de 66 ans, a démissionné contre toute attente de son poste de vice-chef de l'administration présidentielle. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a laconiquement confirmé l'information. Une rupture après des décennies de collaboration.
Meduza le décrit «l'homme de confiance de Poutine», celui qui attire tous les regards. Le média a mené des recherches approfondies sur la chute de ce proche de Poutine et s'est entretenu avec des experts du Kremlin et des compagnons de route. Meduza cite un initié qui affirme que le président russe aurait confié à Kozak «des affaires importantes et urgentes».
Cela ne fait pourtant pas vraiment de lui un homme de main. La Fondation hessoise pour la recherche sur la paix et les conflits (HSFK) parle prosaïquement de «le solutionneur de problèmes de Poutine».
Dmitri Kozak, un homme de droit
Dmitri Kozak s'est toujours considéré comme un homme de droit. Comme en 1991, lors de la tentative de coup d'Etat à Leningrad. Dans la future Saint-Pétersbourg, il a rapidement fait carrière aux côtés de Vladimir Poutine. Sa force: savoir trouver une solution juridique à n'importe quel problème.
Poutine l'a convoqué à Moscou, dans l'administration présidentielle, en prenant les rênes du pays en 2000. Dmitri Kozak a alors occupé le poste de vice-premier ministre pendant douze ans, et s'est vu confier l'organisation des Jeux olympiques d'hiver de Sotchi en 2014. Mais sa mission officieuse consistait à résoudre les conflits explosifs.
Poutine lui confiait systématiquement les missions les plus délicates. Lorsque l'influence de la Russie dans l'ancienne république soviétique de Moldavie menaçait de s'effriter, Kozak a discrètement réglé l'affaire dans l'intérêt de son chef. Un observateur du Kremlin détaille pour Meduza:
Dmitri Kozak s'impose ainsi comme l'homme de la situation en 2014, après l'annexion de la Crimée. Il participe activement aux négociations dites de Minsk, au cours desquelles la chancelière allemande Angela Merkel et le président français François Hollande tentent de solutionner pacifiquement le conflit entre Moscou et Kiev.
Dmitri Kozak mise jusqu'au bout sur les pourparlers. Quand le gouvernement de coalition entre en fonction à Berlin en décembre 2021, le conseiller en politique étrangère d'Olaf Scholz le rencontre immédiatement. En vain. Poutine envahit l'Ukraine avec ses troupes en février 2022.
Lors de la réunion décisive du Conseil de sécurité russe trois jours avant l'offensive, Kozak aurait été le seul à oser contredire ouvertement les intentions du président, toujours selon Meduza. Il aurait ainsi évoqué les problèmes persistants liés à la prise de pouvoir dans le Donbass, dans l'est de l'Ukraine. Mais Poutine lui aurait coupé la parole illico. Le mois dernier, le New York Times avait déjà fait état d'une brouille entre ce dernier et son confident.
Anciens militaires et soutiens inconditionnels
Cette démission témoigne ainsi d'une nouvelle concentration du pouvoir au Kremlin. Pour pourvoir d'importants postes parlementaires, Poutine ne s'est récemment tourné que vers des vétérans. La preuve d'une nouvelle militarisation de la politique et de la société en Russie. La situation devient difficile pour les défenseurs de l'Etat de droit comme Kozak.
Officiellement, il aurait justifié sa décision par «son âge, sa fatigue et sa santé», selon des sources proches du dossier, selon Meduza. Mais on lui prête par ailleurs des aspirations à une carrière dans le monde des affaires.
Selon les experts, Dmitri Kozak n'a toutefois pas à craindre pour sa vie, à l'image d'autres proches de Poutine. Celui-ci accordera certainement à son ancien confident «un poste honorifique dans une entreprise publique ou fidèle à l'Etat».
Le Kyiv Independent se montre plus critique. Pour le journal ukrainien:
Avec le départ de Kozak, la Russie perd son dernier opposant.
Adaptation en français par Valentine Zenker

