4 questions sur le missile nucléaire russe qui intrigue Washington
C’est un test qui fait frémir Washington et lever des sourcils en Europe. La Russie a annoncé avoir réussi le lancement d’un missile de croisière à propulsion nucléaire, une arme présentée comme «capable de voler pendant des heures, d’échapper aux radars et de contourner les défenses américaines».
Toutefois, les spécialistes tempèrent: entre limites techniques, incertitudes doctrinales et risques radioactifs, le fameux missile Bourevestnik intrigue plus qu’il n’inquiète vraiment.
Comment ça marche?
Contrairement aux missiles classiques exclusivement propulsés par des carburants chimiques, le missile Bourevestnik («oiseau de tempête» en russe) utilise un réacteur nucléaire. Ce dernier chauffe de l'hydrogène, qui sert de carburant et génère la poussée.
«Cela permet d’allonger considérablement le temps de vol et la portée», explique à l'AFP Amaury Dufay, chercheur au centre IESD à Lyon et spécialiste de la propulsion nucléaire.
Résultat: le missile aurait parcouru 14 000 kilomètres en 15 heures, d'après la Russie. «Son objectif est de voler longtemps, très bas, entre 15 et 200 mètres, ce qui complique la détection», selon lui. On peut imaginer le faire «décoller de Russie, faire un détour par l'Amérique du Sud et attaquer l'Amérique du Nord par le Sud, par des côtés qui pourraient être moins défendus par les défenses anti-missiles américaines».
En revanche, il est relativement lent, à une vitesse subsonique, et «a priori sa capacité de manœuvre et d'évitement est limitée par sa lenteur», estime Héloïse Fayet, spécialiste du nucléaire au centre de réflexion français IFRI.
A quoi ça sert?
Cette arme tente de fournir une réponse au renforcement des systèmes de défense antimissile, en particulier les Etats-Unis et leur projet de Golden Dome.
«Le Golden Dome américain et les projets de développement de défense antimissile en général sont parmi les principaux moteurs» du projet, explique sur X l'analyste russe spécialiste des questions nucléaires Dmitry Stefanovich.
«Le missile a entièrement été conçu dans l'idée de contourner les défenses antimissiles», abonde Amaury Dufay. «On peut très bien l'imaginer, avec sa capacité de manœuvre et sa portée illimitée, en train de harceler et affaiblir les défenses antimissiles, puis repartir pour laisser la place à d'autres missiles» classiques, explique à l'AFP Héloïse Fayet.
Qu'est-ce que ça change?
A l'heure actuelle, l'impact stratégique reste limité. «Le missile n'est pas opérationnel, il n'y a pour l'instant aucune infrastructure de déploiement dans les forces, pas de doctrine d'emploi», explique Héloïse Fayet. «Il est nécessaire de déterminer (ses) possibilités d'application et de commencer à préparer l'infrastructure nécessaire», a déclaré Vladimir Poutine à son sujet.
Car aujourd'hui, ni les Etats-Unis, ni, encore moins, l'Europe, n'ont de «bouclier antimissile permettant d'intercepter une attaque massive de missiles balistiques et de croisière», explique sur X Etienne Marcuz, chercheur à la FRS.
«C'est donc une arme de déstabilisation qui pèse dans le domaine de la défense antimissiles, qui montre que les Russes sont toujours capables d'innovation et qu'ils ne se préoccupent pas trop de sûreté.»
Quels risques radioactifs?
S'il touche une cible ou est intercepté, qu'il porte une charge nucléaire ou conventionnelle, la contamination est inévitable. Il semble en revanche que le test n'ait pas provoqué de contamination détectable. «L'agence norvégienne de surveillance de la radioactivité n'a rien détecté alors que le test est passé dans sa zone de détection. De même, les stations du TICE (le traité d'interdiction des essais nucléaires, ndlr) n'ont rien détecté non plus», explique Héloïse Fayet.
Pour autant, selon Amaury Dufay, comme «le carburant passe dans le réacteur nucléaire, il me semble inévitable qu'il y ait quand même quelques rejets».
«Par ailleurs, le missile lui-même est radioactif, une fois que le réacteur est lancé. Si vous vous en approchez trop, vous êtes irradié, cela veut dire qu'il est difficile à employer, que vous n'allez pas beaucoup pouvoir le tester. Or, dans la dissuasion nucléaire, ce qui compte, c'est le signalement, la crédibilité qui passe par des tests.» (max/afp)
