«Nos pères ont combattu et nous vivons dans ces baraques», se lamente Tamara, en montrant sa maison délabrée d'Ivanteïevka, près de Moscou. La Russie célèbre en grande pompe les 80 ans de la victoire sur l'Allemagne nazie, mais la retraitée a du mal à joindre les deux bouts. «Nos autorités n'ont aucune honte», s'écrie Tamara, 65 ans.
Son logement fait peine à voir. La maison vétuste en bois est alignée à côté de bâtisses identiques. Sa «baraque» a été construite en plein centre d'Ivanteïevka, à moins de 15 km de Moscou, pour les ouvriers en 1906, à l'époque du tsar Nicolas II.
La maison compte 29 pièces, ces fameux «kommounalki» (appartements communautaires) avec une seule cuisine et une seule salle de bain pour tous les habitants. Tamara vit dans une de ces pièces de 12 mètres carrés. Mais la sexagénaire, qui ne souhaite pas donner son nom de famille, se garde de critiquer Vladimir Poutine. Elle s'en prend plutôt aux responsables locaux qui «ont promis de détruire nos baraques et de nous reloger».
Avec une retraite de 20 000 roubles (un peu plus de 200 euros) par mois, Tamara, qui travaillait dans une fabrique de tissus aujourd'hui fermée, a du mal à survivre. Un quart de sa retraite part dans les charges (eau, gaz, électricité).
Car l'inflation est supérieure à 10% en Russie. Les prix augmentent rapidement dans l'ensemble de l'économie depuis des mois, alimentés par les dépenses publiques massives liées au conflit en Ukraine et par de graves pénuries de main-d'œuvre.
Pourtant, Tamara, dont le père s'est battu pendant la Seconde Guerre mondiale, estime que rien n'est trop grandiose pour fêter le 9-Mai, date de la capitulation de l'Allemagne nazie. «Les gens méritent» la pompe prévue par le pouvoir sur la Place Rouge, estime-t-elle.
Alors que Moscou a décrété un cessez-le-feu unilatéral de trois jours dans son offensive en Ukraine à partir de jeudi, la capitale russe verra défiler vendredi soldats et armement sous les yeux de Vladimir Poutine et de dirigeants étrangers, dont le Chinois Xi Jinping.
A Ivanteïevka, un monument «aux soldats qui ne sont pas revenus de la guerre» est noyé dans les fleurs. L'anniversaire de la victoire «est une fête formidable, mais j'ai un sentiment très douloureux à cause de ce qui se passe aujourd'hui», confie Nina Mourachova, une femme d'affaires de 67 ans, dans une allusion à l'offensive russe lancée le 24 février 2022 contre l'Ukraine et qui a fait des dizaines de milliers de morts des deux côtés.
«Je m'inquiète pour nos gars qui sont en train de mourir. Nous attendons la victoire, une deuxième victoire», de la Russie en Ukraine, dit-elle, au diapason de la vague de patriotisme que le Kremlin fait déferler sur la Russie.
Ces trois dernières années, Vladimir Poutine a souvent renvoyé à la mémoire de la victoire sur l'Allemagne nazie pour défendre l'offensive militaire contre l'Ukraine, la Russie assurant vouloir «dénazifier» ce pays voisin dont elle occupe environ 20% du territoire.
Le petit-fils de Nina fait son service militaire. Elle fait «des cauchemars que la guerre a commencé ici et qu'il doit aller au front». Elle raconte sa «douleur» lorsqu'elle voit devant un hôpital des soldats revenus d'Ukraine, «sans jambes, sans bras».
Elena Maximkina, une gardienne de 56 ans, se promène avec sa petite-fille qui porte un calot des années 40, suivant la tradition russe d'habiller les enfants en tenue militaire pour les festivités du 9-Mai.
«Ici, on vit en paix. Pas de bombardements, pas de tirs», résume Mme Maximkina. Quoique. A bien y réfléchir, «il y a des drones qui volent», dit-elle. Ces derniers jours, en effet, la région de Moscou a été la cible de dizaines de drones ukrainiens qui ont été abattus par les forces antiaériennes.
Un peu plus loin, Nadejda Choumakova, une retraitée de 76 ans, s'interroge à haute voix: