Un CEO russe décapité: son mystérieux projet minier interroge
Le 7 septembre a été une journée sinistre pour Solnetchnoïe, le «village ensoleillé», en russe. Sous un pont de cette localité russe de 70 habitants, une dépouille sans tête a été retrouvée, un câble de remorquage pendant encore de la rambarde. L’identité du mort a rapidement été confirmée: il s’agissait de l’homme d’affaires de Kaliningrad Alexeï Sinitsyne.
Alexeï Sinitsyne était directeur général de K-Potash Service, une société dédiée à l’extraction de sels de potasse. Sa mort a été confirmée par la branche régionale du Comité d’enquête russe. Selon une première hypothèse relayée par des sources proches des forces de l’ordre, il pourrait s’agir d’un suicide.
Le comité régional d’enquête, qui a ouvert une procédure, précise:
Directeur général d'une coquille vide
Dans la presse allemande, Alexeï Sinitsyne a rapidement été rangé parmi les grands dirigeants morts dans des circonstances étranges en Russie ces dernières années. Mais l’examen des documents officiels révèle une autre particularité: il était à la tête d’une entreprise qui n’a jamais véritablement démarré ses activités.
Basée à Nivenskoïe, près de l’enclave russe de Kaliningrad, K-Potash Service est détenue par la société néerlandaise Vyrex B.V. et la firme chypriote Openlane LTD.
L’idée de construire dans la région une mine et une usine de traitement de potasse et de magnésium a émergé en 2014. Les puits devaient être creusés sur le site d’une ancienne base de Lukoil, à Nivenskoïe, et la mine devait entrer en service en 2021. Mais les habitants s’y sont opposés.
Face aux protestations des riverains, inquiets d’une dégradation de leurs conditions de vie, les délais de construction ont été repoussés. En 2017, Vladimir Poutine en personne est entré dans la danse:
Finalement, le site de production a été déplacé de 930 mètres pour s’éloigner des habitations. La mise en service de la mine a été reprogrammée pour 2025, et celle de l’usine pour 2026. L’investissement global était estimé à 59 milliards de roubles (environ 60 millions d’euros). Le ministre régional de l’économie, Dmitri Kouskov, vantait un apport annuel de 2 milliards de roubles au budget local et plus de 1600 emplois créés.
En 2020, les autorités régionales ont cédé près de 20 hectares de terres agricoles au projet. On prévoyait aussi une ligne ferroviaire de treize kilomètres, un réseau routier, un raccordement au gaz, des chaufferies, des casernes de pompiers, des bassins, des postes électriques, des bâtiments administratifs, des logements, des stations d’épuration, des entrepôts, et bien plus encore.
Dix ans sans chiffre d'affaires
L’agriculture russe traverse des difficultés, et le président a dû reconnaître récemment la hausse des prix, y compris ceux des pommes de terre. Or la potasse est un ingrédient essentiel pour les engrais.
C’est dans ce contexte qu’Alexeï Sinitsyne a pris, en octobre 2022, la direction de K-Potash Service. Mais sur le terrain, rien n’avait bougé: aucune extraction n’avait débuté.
Depuis plus de dix ans, l’entreprise n’a généré aucun revenu. En 2024, elle affichait une perte de 3,45 milliards de roubles. Ses effectifs n’ont cessé de fondre: de 114 salariés en 2019, ils n'étaient plus que 27 en 2024.
L’an dernier, le démarrage de la mine a de nouveau été repoussé. Les investisseurs ont expliqué que des travaux de prospection et de conception restaient à mener, et que les équipements devaient être remplacés.
Des procès à répétition
Dans le même temps, K-Potash Service a multiplié les démêlés judiciaires avec l’agence fédérale de protection de l’environnement, notamment pour des amendes impayées. En octobre 2022, la société invoquait dans un document judiciaire sa «situation financière difficile». Au total, 33 procédures sont en cours, pour un montant cumulé de 370,6 millions de roubles, essentiellement pour non-respect d’obligations et infractions administratives.
Une autre décision impose à l’entreprise de soumettre un projet technique pour l’exploitation des gisements avant le 1er mai 2023, et de lancer la production au plus tard le 1er novembre 2032. L’investisseur tablerait désormais sur cette échéance.
Mais impossible de savoir si le volume des investissements ou les paramètres du projet ont changé: les autorités régionales restent muettes. Sur le site officiel de la zone économique spéciale de Kaliningrad, où K-Potash Service est enregistrée, plus aucune donnée n’est disponible sur les montants investis.
Aujourd’hui, ce n'est pas seulement le directeur général de l’entreprise qui est mort dans des circonstances obscures: tout le projet colossal s'est peut-être éteint avec lui.
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder

