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Ukraine: «Plus Poutine nous bombarde, plus notre haine grandit»

Volunteers of a paramedic organization, Hospitallers carry a coffin of paramedic Nikola Mirovic, a citizen of Sweden from Skane, who was killed at the frontline during the evacuation of a wounded Ukra ...
Les volontaires d'une organisation paramédicale portent le cercueil de l'ambulancier Nikola Mirovic, tué sur la ligne de front lors de l'évacuation d'un soldat blessé dans la région de Donetsk, le 13 décembre 2022.Image: Keystone

Une proche de Zelensky: «Plus Poutine nous bombarde, plus notre haine grandit»

La Russie tente de briser la résistance ukrainienne en faisant pleuvoir les missiles sur les civils. Aliona Verbytska, conseillère du président Volodymyr Zelensky, explique pourquoi cette stratégie ne marche pas.
25.12.2022, 07:5925.12.2022, 07:59
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Aliona Verbytska est la conseillère du président ukrainien Volodymyr Zelensky et, depuis l'automne 2021, la médiatrice pour les droits des soldats ukrainiens. La semaine dernière, elle était invitée par la Fondation Konrad-Adenauer à la première de Life to the Limit, un documentaire sur la guerre russo-ukrainienne, à Berlin. En marge de l'événement, nous avons pu nous entretenir avec elle de la situation dans son pays.

Aliona Verbytska, conseillère du président Volodymyr Zelensky
Aliona Verbytska, conseillère du président Volodymyr Zelensky.Image: dduvs.in.ua/

L'hiver est arrivé, une bataille sanglante fait rage dans le Donbass, tandis que la Russie continue de terroriser les villes ukrainiennes avec des missiles et des drones. Quelle est l'ambiance parmi les soldats ukrainiens sur le front?
Aliona Verbytska: L'esprit de combat de l'armée ukrainienne se renforce de jour en jour. Les soldats savent qu'ils se battent pour leur vie, leur famille et leur avenir. Les températures négatives ne nous affectent guère.

Les missiles russes ont détruit une grande partie de l'approvisionnement en énergie et en eau de l'Ukraine. Les familles des soldats en sont également affectées. Cela n'impacte-t-il pas le moral des combattants?
Si bien sûr, et les complications dues au froid ne sont pas seulement ressenties par les soldats, mais par l'ensemble du peuple ukrainien. Dans de nombreuses villes, il n'y a pas d'électricité, pas d'eau et pas de chauffage. Personne n'y échappe.

«Mais le moral des combattants et le désir de repousser l'ennemi n'en sont que renforcés»

Ce n'est pas simplement une manière de faire bonne figure?
Non. Je suis en contact permanent avec les soldats et leurs familles. Plus la situation est grave, plus la haine envers les dirigeants russes grandit, plus la volonté de se défendre contre l'ennemi se renforce. Il y a des soldats qui sont à l'hôpital pour des blessures très graves, mais la première chose qu'ils demandent à leur réveil, c'est quand est-ce qu'ils pourront retourner au front.

Comment expliquez-vous cela?
Le gouvernement russe se trompe de stratégie: il pense pouvoir briser notre volonté en envoyant des missiles sur nos villes. Mais c'est tout le contraire. Chaque missile nous rappelle pourquoi nous devons continuer à nous battre:

«Nous n'aurons la paix et la sécurité que si nous vainquons l'armée russe en Ukraine»

En tant que médiatrice du président Volodymyr Zelensky, vous devez souvent annoncer de mauvaises nouvelles. Que dites-vous aux familles des combattants tués ou capturés?
C'est en effet le plus grand défi de mon travail. D'une part, je les aide à obtenir des aides de l'État et à remplir les documents nécessaires. D'autre part, je parle avec eux et j'essaie de leur faire comprendre que l'État ukrainien fait tout pour qu'ils obtiennent justice.

Comment obtient-on justice lorsque son fils est tué sur le front ou détenu par les forces russes?
Pour les soldats tombés, nous essayons de récupérer les corps, ce qui n'est pas toujours facile. Dans le cas des soldats faits prisonniers par les Russes, la principale question des familles est bien sûr de savoir quand elles pourront récupérer leur bien-aimé.

Et que leur répondez-vous?
Malheureusement, je doit souvent me contenter de dire que l'État fait tout ce qu'il peut pour faire libérer les prisonniers, mais qu'en fin de compte, la décision revient à la Russie.

Y a-t-il un cas qui vous a particulièrement marquée?
Je parle à de nombreuses familles. Chaque douleur est unique et immense. J'ai par exemple été en contact avec une famille dont le père et les deux fils, âgés de 20 et 24 ans, combattaient dans l'armée.

«Récemment, le père a dû aller chercher les corps de ses deux fils sur le front. C'est terrible d'entendre de telles choses»

J'ai parlé il y a peu avec la mère de deux autres soldats. L'un était tellement défiguré qu'il n'a pu être identifié que grâce à des échantillons d'ADN. L'autre est porté disparu, nous n'avons aucune information à son sujet. Il y a des milliers d'histoires de ce genre.

Dans quelle mesure cela vous affecte-t-il personnellement?
C'est difficile pour moi parce que je suis aussi une mère et que je ne pourrais pas supporter que mes enfants soient ramenés morts à la maison. Mais je suis également un officier et une militante des droits de l'homme. Je sais ce que mon travail exige de moi et je continuerai à m'occuper des familles.

De temps en temps, un échange de prisonniers avec la Russie a lieu: il y a quelques jours, 64 Ukrainiens et un citoyen américain ont été libérés. Moscou a en retour reçu un prêtre orthodoxe et plusieurs corps du groupe de mercenaires Wagner. Qui décide qui peut, ou ne peut pas, rentrer chez lui?
Il existe des services spéciaux au sein de l'armée ukrainienne et du service de renseignement intérieur, qui établissent des listes de noms à cet effet. C'est tout ce que je peux dire:

«L'Ukraine essaie de récupérer toutes les personnes disparues, tous les prisonniers et tous les corps des soldats tombés»

Nous envoyons ces listes aux autorités russes, y compris les noms de ceux que la Russie ne détient pas officiellement. Ce qui se passe ensuite est entre les mains de l'agresseur.

Le gouvernement ukrainien peut-il prendre contact avec les prisonniers avant qu'un échange ait lieu?
Il est très difficile d'obtenir la moindre information de la part de la Russie. Cela vaut même pour les blessés graves. Par exemple, la Russie détient actuellement plus de 160 soldats ukrainiens qui ont défendu le site nucléaire de Tchernobyl en mars. Ces personnes sont irradiées et doivent recevoir des soins médicaux d'urgence. Nous avons insisté pour que les personnes concernées soient au moins extradées vers un pays tiers pour y être soignées. Mais sans succès jusqu'à présent.

Où se trouvent actuellement ces soldats irradiés?
Nous ne le savons pas. La Russie viole malheureusement en permanence le droit international et la Convention de Genève. Nous ne recevons aucune information sur l'état de santé des soldats. Seule la Croix-Rouge internationale entre de temps en temps en contact avec les prisonniers. La Russie joue à la plus maligne: les prisonniers ont été déplacés quatre à cinq fois en l'espace de quelques mois. Nous ne pouvons qu'espérer qu'ils vont bien et qu'ils sont encore en vie.

Est-ce que vous recevez des témoignages de soldats qui racontent leurs peurs?
La plus grande peur est celle de ne plus pouvoir se défendre. Que les envahisseurs nous écrasent parce que nous n'avons plus de munitions ou pas assez d'armes pour nous défendre. Si nous avions suffisamment de chars et d'obusiers, la guerre serait peut-être terminée en quelques semaines. L'armée russe peut être vaincue militairement. Mais nous devons avoir les moyens de le faire. C'est à mes yeux une constatation assez banale, que tout le monde ne partage malheureusement pas.

L'un des reproches adressés à l'Occident est qu'il fournit juste assez d'armes à l'Ukraine pour lui permettre de survivre, mais pas de gagner. Comment expliquer ce comportement?
C'est une question que je me pose depuis le début de la guerre. Peut-être que certains représentants des gouvernements occidentaux pensent ainsi éviter une escalade nucléaire.

«D'autres espèrent peut-être secrètement que la guerre se terminera d'elle-même si nous ne sommes pas suffisamment aidés»

Mais je pense que ce n'est pas comme ça qu'il faut réfléchir. En huit ans et demi de guerre, nous avons appris qu'aucun cessez-le-feu, aucune trêve et aucune prise en compte des intérêts russes n'empêchera Poutine d'annexer davantage de notre territoire. La seule chose qui permette de contrer les ambitions impériales de la Russie est de se mettre en travers de son chemin. Et cela ne peut se faire que par les armes.

En Occident, les avis sont partagés sur la question de savoir si les gouvernements doivent livrer plus d'armes à l'Ukraine. Certains argumentent que les «intérêts de sécurité» de la Russie doivent être respectés, d'autres craignent une troisième guerre mondiale. Pouvez-vous comprendre de telles craintes?
Ces craintes en Europe et aux Etats-Unis ont précisément conduit à la situation dans laquelle se trouve l'Ukraine aujourd'hui. La politique occidentale à l'égard de la Russie depuis 2014 a été motivée par la peur. L'argument était que Poutine ne devait tout simplement pas être trop puni pour sa guerre dans le Donbass et l'annexion de la Crimée, afin de ne pas provoquer davantage de troubles. Mais en tant que juriste, je sais que le crime et le mal impunis ne s'arrêtent pas d'eux-mêmes. Ils ne font que croître et deviennent de plus en plus dangereux.

Depuis février 2022, l'Occident réagit pourtant avec une détermination sans précédent.
C'est vrai, et heureusement, la situation n'est plus comme en 2014. Nous sommes aujourd'hui approvisionnés en armes par l'Occident. Je voudrais donc remercier l'Occident pour son soutien et lui demander en même temps de ne pas cesser cette aide.

«Nous avons repris 50% des territoires occupés, et nous parviendrons à reprendre le reste de l'Ukraine»

La Russie commet systématiquement des crimes de guerre en Ukraine. Mais il y a des indications selon lesquelles certains soldats ukrainiens auraient également mal agi. Dernièrement, une vidéo de la région de Donetsk est apparue, où des soldats ukrainiens auraient tué dix prisonniers de guerre russes parce que l'un d'entre eux avait ouvert le feu sur eux. Comment réagissez-vous à de telles informations?
Il est vrai qu'il existe des cas isolés de crimes de guerre commis par des soldats ukrainiens. Dès qu'un tel cas est connu, une enquête pénale est ouverte contre les auteurs présumés. La loi s'applique à tous, personne n'est au-dessus.

Le commandant en chef des forces armées ukrainiennes, Valeri Zaloujny, a récemment déclaré dans une interview «que les Russes et tous les autres ennemis doivent être tués, et le plus important, c'est qu'il ne faut pas avoir peur de le faire». N'est-ce pas un appel à une dangereuse brutalité?
La guerre est l'affrontement de deux parties dont l'objectif est de se détruire mutuellement. Tuer ou être tué. Il n'y a pas de troisième voie. Lorsqu'on est soldat sur le front et qu'on est au contact de l'ennemi, on sent immédiatement qu'un seul sortira vivant du combat. Les réflexions philosophiques n'ont pas leur place sur le champ de bataille.

Les experts affirment que la Russie a terminé la mobilisation d'environ 300 000 nouveaux soldats et que des milliers de chars se trouvent encore dans les arsenaux russes. Et parallèlement, il n'y a aucun signe de négociations. Cela pourrait bien être une longue guerre.
Je comprends que cela fasse peur à beaucoup de pays, mais c'est l'Ukraine qui subit le plus dans tout cela. Si l'Occident gèle son soutien à l'Ukraine – Dieu nous en préserve – et que l'Ukraine tombe, c'est tout l'ordre mondial démocratique de l'après-guerre qui s'effondre. Une nouvelle ère commencera alors, dans laquelle la loi du plus fort s'appliquera et où les accords internationaux ne vaudront pas même le papier sur lequel ils sont écrits. Je ne veux pas vivre dans ce monde-là.

Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder

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