Les soldats russes sont envoyés au front avec peu de nourriture et encore moins de munitions, ça, c'est une chose qui est désormais connue. Mais ils partiraient également au front avec pour seule béquille... une notice Wikipédia leur expliquant le maniement de leurs armes.
Les soldats russes sont-ils aussi peu formés au terrain que cela? C'est en tout cas ce qu'affirme le New York Times, qui énumère mardi dans un article paru sur son site un nombre impressionnant de bourdes du Kremlin, qui contribuent à plomber l'avancée de l'armée russe en Ukraine.
Témoignages, conversations téléphoniques, documents émanant du gouvernement russe, confessions d'anciens intimes de Poutine, plans d'invasion, et directives propagandistes: l'enquête du New York Times passe au crible les raisons de la débâcle de l'armée russe, qui pensait faire une guerre éclair.
Mikhail, membre des troupes de la 155e brigade d'infanterie navale russe, estime avoir été dupé par sa hiérarchie, qui lui avait promis que «jamais, il ne verrait les combats». Une garantie bienvenue, alors que son unité ne possédait ni carte géographique, ni kit médical, et aucun talkie-walkie en état de marche. Des ouvriers d'usine et d'anciens camionneurs avaient été envoyés au front en septembre, sur fond de rengaine médiatique pour célébrer l'avancée de leur armée.
La réalité sous forme d'obus viendra décimer troupes au sol et illusions. Mikhail se souvient encore avoir considéré avec horreur les corps déchiquetés de ses camardes, avant de ramper comme il le pouvait - il était blessé au ventre - et tenter de creuser un fossé de ses mains pour se protéger. Sur les soixante gars embarqués, quarante y laisseront leur peau. Et seuls huit d'entre eux s'en tirent sans séquelles physiques graves.
Les soldats se réveillent du long sommeil dans lequel le Kremlin les avait plongés. Celui-ci avait distribué avant le début des hostilités des plans d'invasion si optimistes que chacun devait embarquer son uniforme de célébration et ses médailles, anticipant déjà un cortège de la victoire. Mais au lieu de cela...
Ce n'est pas un élément, mais une série de bourdes, qui minent l'efficacité de l'armée russe:
Pour commencer, Vladimir Poutine s'est lui-même enfermé dans une bulle - en partie en raison de la pandémie. Pétri d'un zèle anti-occidental, il s'est par la même occasion muré dans la certitude de la supériorité de son armée. Il n'aurait pas consulté ses experts au sujet de son projet d'invasion. Ceux-ci, selon le New York Times, auraient certainement considéré l'idée comme de la folie pure.
En conséquence, les cadres de guerre auraient reçu un «agenda d'invasion» impossible à tenir.
Autre facteur aggravant, les soldats déployés utilisaient leur propre portable pour contacter leurs proches. Résultat: de nombreux appels ont été interceptés, révélant par la même occasion leurs positions et leur désarroi sur le champ de bataille.
Autre exemple d'un truc pas très à la pointe faisant partie du «Russian soldier starting pack»: les troupiers ne pouvaient compter que sur de vieilles cartes désuètes des régions dans lesquelles ils pénétraient.
Corruptions et vols auraient empêché le maintien et le bon fonctionnement des transports et autres infrastructures de guerre, tels que les chars ou les bases. Un entrepreneur militaire, dont le New York Times a recueilli le témoignage, explique avoir tenté de cacher la décrépitude d'une base de chars russes derrière d'énormes bannières patriotiques, espérant tromper une délégation de hauts gradés.
Pleine de son ambition frénétique, Moscou s'est emparée de plus de territoire qu'elle ne pouvait en défendre, laissant des milliers de kilomètres carrés entre les mains de troupes rachitiques, composées de combattants sous-alimentés, sous-entraînés et mal équipés. Beaucoup étaient des conscrits ou des séparatistes hétéroclites, partis en guerre avec du matériel des années 1940.
Comme le révèle le New York Times, des feuilles Wikipédia imprimées décrivant comment utiliser un fusil de sniper ont été retrouvées sur le terrain, suggérant que les soldats ont appris à se battre à la volée. Malgré tous ces mauvais augures, et le fait que l'armée ukrainienne faisait des dégâts avec ses nouvelles armes occidentales, les commandants russes ont continué à envoyer des vagues de troupes terrestres «à l'abattoir», dans des assauts inutiles, encore et encore.
Quand aux formateurs au sein de l'armée russe, ils considèrent, résignés, le destin promis à leurs jeunes recrues. Des entretiens menés avec des soldats russes montrent en outre à quel point ils ont été stupéfaits lorsque l'ordre est venu d'envahir. Nikita Chibrin, un soldat de 27 ans dans une brigade d'infanterie motorisée, a déclaré qu'il avait passé le mois précédent en Biélorussie, sur ce que lui et ses camarades soldats avaient pris pour un exercice d'entraînement. Le 23 février, il s'en rappelle très bien, le commandant s'est approché de ses hommes:
A l'aube du 24, le caporal Chibrin et ses camarades ont embarqué dans un véhicule blindé à chenilles. Les hommes n'avaient aucune instruction et aucune idée de l'endroit où ils se dirigeaient, révèle le New York Times.
Un autre soldat russe stationné en Biélorussie a déclaré avoir découvert qu'il partait en guerre une heure seulement avant que son unité ne commence à marcher. L'ordre était à la fois simple et complètement fou : «suivez le véhicule devant vous et rejoignez Kyiv en 18 heures».
Derrière les portes de sa résidence, Vladimir Poutine serait de son côté prêt à risquer la vie d'au moins 300 000 soldats russes, avertit un membre de l'OTAN relayé par le New York Times. Cela représente trois fois ses pertes actuelles estimées, note le média.
Isolé, au sommet d'une hiérarchie bien orchestrée, composée de grands et petits cadres en concurrence les uns avec les autres, Vladimir a su cadenasser son pouvoir. Du côté ukrainien, l'on se demande jusqu'où le dirigeant russe est prêt à aller. Il a ciblé les hôpitaux, les écoles, des villes entières, et a su instiller la peur et la peine à grand recours de tirs et de tortures. Serait-il capable d'utiliser son arsenal militaire?
Face à ce sombre horizon, un général russe à la retraite, Leonid Ivashov, a publié en février une lettre ouverte - fait rare dans l'entourage de Poutine. L'utilisation de la force contre l'Ukraine menacerait «l'existence même de la Russie en tant qu'État», avait-il averti.