On a découvert comment notre cerveau stocke nos souvenirs
Pourquoi certains vécus restent-ils gravés dans notre mémoire, tandis que d’autres disparaissent rapidement? Beaucoup savent sans doute que les moments chargés d’émotion s’ancrent plus durablement.
Mais bien souvent, nous ne nous souvenons pas seulement de l’événement central, nous retenons aussi des détails en apparence secondaires. L’endroit où nous nous trouvions, ce que nous faisions à ce moment-là, des éléments anodins que normalement, nous oublierions.
Jusqu’à présent, le lien entre ces souvenirs du quotidien et les expériences émotionnelles restait flou. Une nouvelle étude de l’université de Boston apporte désormais des éclairages particulièrement intéressants. Le directeur de l’étude, Robert M.G. Reinhart, résume ainsi la situation:
Le cerveau décide activement quelles informations méritent d’être conservées. Pour cela, il s’appuie sur les expériences émotionnelles afin de préserver des souvenirs fragiles. La manière dont ce mécanisme fonctionne s’avère particulièrement instructive.
Les émotions fortes sauvent nos souvenirs
Les expériences qui surviennent juste après un moment émotionnel se fixent mieux dans la mémoire en raison de leur proximité temporelle. Et une règle s’impose: plus l’événement est marquant, plus le souvenir de ce qui suit est solide.
Le mécanisme est différent pour les souvenirs qui viennent avant un pic émotionnel. Ceux-ci sont mieux retenus lorsqu’ils présentent du contenu ou un lieu visuel en commun avec l’événement central, par exemple par des couleurs ou des thèmes similaires.
Selon Robert M.G. Reinhart, il s’agit de la première confirmation chez l’être humain du principe de la «priorisation graduée», un nouveau concept selon lequel le cerveau sauve des souvenirs fragiles en les associant à des expériences émotionnelles.
Ces résultats pourraient avoir des conséquences étendues. À l’école, les contenus pédagogiques pourraient être mieux assimilés s’ils étaient combinés à des éléments suscitant des émotions. En médecine, des stimuli ciblés pourraient aider à raviver des souvenirs perdus ou, au contraire, à affaiblir volontairement des souvenirs pénibles, notamment après des expériences traumatisantes.
La mémoire apparaît ainsi comme un filtre actif: les émotions constituent la clé par laquelle le cerveau décide de ce qui demeure et de ce qui s’efface.
Voici où les souvenirs sont stockés
Mais où les souvenirs sont-ils stockés? Longtemps, l’idée dominante était que le cerveau les conservait de manière stable dans un lieu précis. Une nouvelle étude de l’université Northwestern montre désormais que les cellules cérébrales activées se modifient à chaque fois, même lors d’expériences identiques.
Le directeur de l’étude, Daniel Dombeck, explique:
Les souvenirs se déplacent ainsi d’un neurone à l’autre. Pour parvenir à cette conclusion, Daniel Dombeck et son équipe ont fait parcourir à des souris un labyrinthe virtuel. Ils pouvaient ainsi s’assurer que les animaux étaient exposés exactement aux mêmes stimuli. Daniel Dombeck précise:
Malgré ce dispositif, l’activité neuronale variait à chaque passage. Un élément est toutefois resté constant: les neurones particulièrement faciles à activer stockaient les souvenirs sur plusieurs parcours successifs. Comme la capacité d’activation des neurones diminue avec l’âge, cela pourrait expliquer pourquoi les personnes âgées ont plus de difficulté à mémoriser de nouvelles informations. Leur cerveau parvient moins bien à enregistrer de façon cohérente des expériences répétées, car les cellules nerveuses clés, facilement activables, ne réagissent plus de manière aussi fiable.
Une autre étude, menée notamment avec des chercheurs de l’université de Genève, le confirme. Les souvenirs se répartissent sur de nombreuses zones du cerveau. Dans une vaste étude de l’International Brain Laboratory, des scientifiques ont enregistré, à l’aide de sondes neuropixels de très haute précision, l’activité des neurones dans presque l’ensemble du cerveau de souris pendant qu’elles faisaient appel à leurs souvenirs.
Il est apparu de manière frappante que même des régions habituellement dédiées au mouvement ou à la perception sensorielle contenaient des informations sur des expériences passées. Un réseau dynamique qui active les souvenirs là où ils sont nécessaires et à l’instant donné semble ainsi se dessiner. La mémoire n’est donc pas un archive figée, mais un réseau vivant.
Traduit de l'allemand par Joel Espi
