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Un projet Volkswagen en Tanzanie suscite la «peur» chez des Massaï

Volkswagen suscite la «peur» chez des Massaï

Alors que Volkswagen soutient un vaste projet de crédits carbone en Tanzanie, les Massaï dénoncent une initiative qui menace leur mode de vie. Entre accusations de greenwashing, promesses de retombées économiques et doutes sur l’efficacité du «pâturage rotatif rapide», le projet divise.
16.11.2025, 15:5716.11.2025, 15:57
Joris FIORITI / Nairobi, Kenya

Massaï du nord de la Tanzanie, Namnyak ne cache pas sa «peur» pour son mode de vie face à un projet de crédits carbone porté par Volkswagen, dont des ONG environnementales dénoncent le «greenwashing» venant d'une entreprise produisant des automobiles par millions.

A plusieurs reprises, des employés de Soils for the Future Tanzania (SFTFTZ), une entreprise partenaire du géant allemand, se sont présentés dans son village d'Orbomba pour inciter ses habitants à signer un contrat liant les deux parties pour les 40 années à venir, raconte cette mère de trois enfants, âgée de 33 ans.

L'objectif de SFTFTZ est, d'après une réponse écrite à l'AFP, de «réduire la dégradation des terres, d'augmenter la couverture végétale (...) tout en offrant des incitations économiques aux communautés locales grâce au partage des revenus du carbone» dans les districts de Longido, où se situe Orbomba, et Monduli, 16 000 km2 au total, soit la moitié de la surface de la Belgique.

ISTANBUL, TURKIYE - NOVEMBER 03: Members of the Masai tribe from Tanzania wearing traditional costumes stage demonstration organized by Indernation Water Well Aid Association as they dance and sing to ...
Des membres de la tribu massaï de Tanzanie dansent et chantent en tenue traditionnelle lors d’une action de sensibilisation à l’accès à l’eau, organisée à Istanbul, le 3 novembre 2025.Image: ANADOLU

Pour ce faire, l'entreprise veut inciter les communautés pastorales locales à recourir au «pâturage rotatif rapide», dans lequel leurs troupeaux ne devraient paître idéalement que 14 jours consécutifs sur un même terrain. A terme, affirme SFTFTZ, l'herbe, parce que non broutée à l'excès à certains endroits par les ruminants des Massaï, garderait une certaine hauteur - d'environ 10 cm - qui lui permettrait d'accroître sa capacité à stocker du carbone.

Celui-ci serait ensuite vendu sous la forme de crédits carbone, qui permettraient à Volkswagen de compenser ou annuler - sur le papier - les émissions de ses propres usines, ou de le revendre à d'autres entreprises souhaitant se revendiquer neutres en carbone.

Jointe au téléphone par l'AFP, Namnyak peine à appréhender ce schéma très mathématique et maîtrise mal le concept même des crédits carbone, que beaucoup de Massaï comprennent comme la vente du vent soufflant sur leurs terres. Et elle perçoit SFTFTZ et Volkswagen comme une menace pour le fragile mode de vie des Massaï, basé sur l'élevage extensif pratiqué sur de vastes territoires, parcourus au gré de la météo et des saisons.

Le pâturage rotatif rapide, qui encadre strictement l'accès des Massaï à leurs terres, relève en ce sens pour elle de l'hérésie. «Peu importe combien d'argent ils nous donnent», proteste-t-elle.

«Nous dépendons de nos terres pour notre bétail, nos céréales et nos ruches. Elles sont notre vie, et celle des générations futures.»

Liberticide

Si Volkswagen et SFTFTZ nient toute volonté de s'approprier lesdites terres, plusieurs Massaï interrogés par l'AFP dénoncent un projet liberticide pour cette communauté, qui va à l'encontre de siècles de coexistence harmonieuse avec la nature.

FILE - In this April 13, 2018 file photo, Volkswagen logo is pictured in front of a company building in Wolfsburg, Germany. (AP Photo/Michael Sohn, File)
Germany Volkswagen Diesel Emissions
L'entreprise veut inciter les communautés pastorales locales à recourir au «pâturage rotatif rapide».Keystone

Sherie Gakii, de Greenpeace, y voit un initiative contraire à toute «justice climatique». Volkswagen veut «continuer à polluer et à réaliser d'énormes profits sur le dos des peuples indigènes qui tentent de protéger leurs terres ancestrales», fustige-t-elle.

«C'est du greenwashing»

Si des villages ont à sa connaissance signé un contrat avec SFTFTZ - le nom du constructeur allemand n'apparaissant qu'une seule fois, à travers sa joint-venture avec l'entreprise de décarbonation Climate partner, dans un long précontrat consulté par l'AFP -, c'est «parce que personne ne refuse de l'argent gratuit», remarque-t-elle.

L'ONG Maasai International Solidarity Alliance (Misa) affirme que les villages signataires perçoivent dans un premier temps deux dollars par hectare, ce qui peut leur permettre d'engranger quelques milliers de dollars, une somme conséquente pour ces communautés impécunieuses mais riches en terres.

AMBOSELI, KENYA - NOVEMBER 07: Maasai community, renowned for maintaining their ancient traditions, gather to celebrate their heritage during the Maa Cultural Festival held at the Kimana Gate in Ambos ...
Des membres de la communauté massaï célèbrent leur héritage lors du Maa Cultural Festival, au Kenya, le 7 novembre 2025.Image: ANADOLU

Elles devraient ensuite contractuellement recevoir 51% de la valeur des crédits carbones vendus, selon SFTFTZ. Misa s'interroge toutefois sur la réalité de ces transferts financiers ultérieurs - et demande un moratoire de cinq ans sur les projets de séquestration de carbone dans le sol du nord de la Tanzanie.

Car Volkswagen et SFTFTZ ne sont pas seuls en lice. L'organisation environnementale américaine The Nature Conservancy postule également pour un projet de crédits carbone sur les mêmes territoires de Longido et Monduli, qui s'étendrait en plus sur l'immense district voisin (20.000 km2) de Simanjiro.

«Aucun des deux projets n'a été vérifié par un auditeur indépendant», rappelle Erdem Koch, un directeur de Verra, le principal organisme international validant les projets de crédit carbone, dans une réponse écrite à l'AFP.

«Verra ne peut spéculer sur des projets qui sont encore en développement»

Et d'insister sur les vertus de ces initiatives climatiques, «parmi les rares» selon lui à «apporter des investissements durables dans des zones rurales».

«Le projet ne perturbe pas les pratiques traditionnelles de pâturage mais les soutient plutôt avec des avantages financiers, garantissant leur durabilité tout en se concentrant spécifiquement sur la prévention du surpâturage», argumentait de son côté Volkswagen ClimatePartner en mars dans un communiqué.

Et la branche verte du constructeur allemand d'insister, dans une réponse écrite à l'AFP, sur le fait que «l'émission de certificats de CO₂ est basée sur des mesures scientifiquement validées», notamment «des échantillons de sol effectués au début et tout au long du projet», qui permettent de démontrer son impact.

«Arnaque»

Dans son rapport Blood Carbon (le carbone du sang), qui étudie un profondeur un projet de séquestration de carbone en cours dans le nord du Kenya, l'ONG Survival dénonce pourtant un programme qui repose «sur des hypothèses non démontrées», ce que conteste également SFTFTZ.

Le pâturage rotatif «n'améliore généralement pas de manière significative l'état des terres», fustige Survival, «au contraire, la végétation semble continuer de se dégrader dans de grandes parties de la zone du projet» kényan. Le fait que la méthodologie du projet ait pu être validée dans d'autres programmes similaires n'est pas non plus un argument probant, tant les organismes certificateurs manquent de «régulation», pointe Benja Faecks, du centre de réflexion Carbon Market Watch.

Fin septembre, Verra a ainsi suspendu une partie des crédits carbone d'un important projet forestier au Zimbabwe, dont Volkswagen était client, au motif que son impact avait été exagéré en amont.

«Que des grosses entreprises, parce qu'elles achètent ensuite des crédits carbones, puissent affirmer qu'elles n'ont aucun impact sur le monde est factuellement faux et trompeur», s'insurge Benja Faecks. Les constructeurs automobiles doivent d'abord «sortir progressivement du moteur à combustion, améliorer l'efficacité des batteries de leurs véhicules électrique et produire un acier et un aluminium plus durable», énumère Benja Faecks.

Avocat et militant massaï, Joseph Oleshangay dénonce de son côté «une arnaque» environnementale. Le projet tanzanien ne sert qu'à «donner un levier à Volkswagen pour continuer ses émissions» de gaz à effet de serre, accuse-t-il, interrogé par l'AFP.

«Est-ce que la production de voitures peut en quelque sorte être compensée par la réduction du pastoralisme? Bien sûr que non», s'insurge Joseph Oleshangay.

«En fin de compte, la terre ne recevra rien, même pas un arbre. Seuls les Massaï souffriront.»

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