Les pays baltes tentent de mener à bien un projet d'infrastructure ambitieux: la ligne ferroviaire Rail Baltica, en construction depuis 2014, doit relier la capitale polonaise, Varsovie à celle de l'Estonie, Tallinn. Quelque 1060 kilomètres les séparent. A cela s'ajoute le tunnel Helsinki-Tallinn, en discussion depuis des années. Il permettrait aux convois de marchandises de rejoindre la Finlande en passant sous la mer Baltique.
Mais la réalisation traîne en longueur. Comme l'expliquent le Wall Street Journal (réd: abrégé WSJ) et le Moscow Times, certains tronçons sont certes aujourd'hui terminés, mais à de nombreux endroits, il n'existe aucune liaison cohérente. Les premières sections entre l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie devaient être achevées cette année, mais selon le Moscow Times, il faut plutôt tabler sur 2030. Une bonne nouvelle pour Poutine.
Comme l'analyse le WSJ, la ligne civile est certes conçue en priorité pour le transport de personnes et de marchandises. Mais en cas de guerre, elle doit également assurer un approvisionnement et donc, en fin de compte, relier la plaque tournante logistique qu'est l'Allemagne à la frontière orientale de l'Otan. L'UE finance le projet à hauteur de 27 milliards d'euros.
Le rail joue un rôle central dans l'acheminement de matériel et de munitions. Selon le Merkur, cela se vérifie actuellement avec le Multinational Battlegroup de l'Otan, dirigé par la Bundeswehr en Lituanie. Cette unité de combat d'environ 1600 soldats devrait être absorbée par la brigade lituanienne d'ici 2027. Elle recevra plusieurs chars allemands Leopard 2, livrés par le rail.
Et c'est facile à comprendre: le transport d'équipements lourds et encombrants est nettement plus efficace par ce biais qu'en camions. Dans le cas de Rail Baltica, le Moscow Times calcule qu'il faudrait un convoi routier de 6,5 kilomètres pour remplacer un seul train de 40 wagons. L'évacuation en cas de guerre serait elle aussi plus rapide par le chemin de fer. Selon la même source, jusqu'à 143 000 personnes par jour pourraient emprunter cette voie de Tallinn, Riga et Kaunas vers la Pologne.
Poutine cherche donc logiquement à retarder un projet qui améliorerait la livraison de matériel de guerre aux troupes de l'Otan. D'autant plus que l'itinéraire passe par un point particulièrement critique: le «Suwalki gap», situé entre Varsovie et la ville lituanienne de Kaunas. Il s'agit d'une bande de terre de 70 kilomètres de large, située entre la Biélorussie et Kaliningrad et s'étendant à gauche et à droite de la frontière lituano-polonaise.
Cette zone géographiquement mal délimitée porte le nom de la localité polonaise de Suwalki. Les observateurs redoutent qu'en s'y avançant, la Russie ne coupe les pays baltes des autres membres de l'Otan. Un moyen de tester la volonté de défense de l'Occident. Depuis le début de la guerre, la manière de protéger ce tronçon fait débat.
Et depuis quelques semaines, l'inquiétude grandit, car Moscou rassemble des troupes, des avions et des forces navales à proximité de la brèche. Selon certains experts, Poutine pourrait avoir l'intention de s'emparer de ce corridor terrestre. Il priverait ainsi l'Otan de la possibilité de livrer des approvisionnements par voie terrestre et il ne resterait alors que la voie maritime.
Traduit et adapté par Valentine Zenker