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Cet Ukrainien se reconstruit «malgré une balle dans la tête»

Cet Ukrainien se reconstruit «malgré une balle dans la tête»
En Ukraine, la résistance est intacte, mais le prix à payer est élevé.

«On peut vivre avec une balle dans la tête»

En Ukraine, la résistance est intacte, mais le prix à payer est élevé. Un an après le début de la guerre, des millions d'Ukrainiens sont blessés, physiquement comme psychologiquement. Pour Dariya, Ivan et Youlia, rien n'est plus comme avant. Témoignages.
18.03.2023, 16:2918.03.2023, 19:40
Cedric Rehman, Kiev / ch media
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«Ilya a disparu. Et cette fois, il semble que ce soit pour de bon»
Dariya

Au printemps 2022, les derniers combats font rage autour de la ville de Marioupol. Les défenseurs ukrainiens ainsi que des civils se retirent dans le labyrinthe de souterrains de l'usine métallurgique Azovstal. Durant plus d'un mois, ce sont pas loin de 3500 personnes qui se terrent dans ces bunkers datant de la guerre froide, tandis que l'armée russe bombarde l'aciérie sans relâche pendant des semaines, jusqu'à ce que la résistance cède.

Les résistants boivent de l'eau contaminée, se partagent des rations chaque jour plus petites. La puanteur dégagée par les plaies des blessés se mêle à l'odeur du sang, des excréments et de la sueur de milliers de personnes, terrées dans l'obscurité. A bout de forces, ces Ukrainiens se rendent. Ils sont emmenés sortis par les Russes présents. Leurs proches restent sans nouvelle de la majorité d'entre eux.

Parmi eux: Illya.

Un combattant du régiment Azov, mutilé

Dariya connaissait Ilya depuis un certain temps déjà, avant que la guerre n'explose. Ils traînaient dans les mêmes bars et clubs branchés du quartier de Podil, à Kiev, dans les coins LGBT et leurs drapeaux arc-en-ciel, leurs paillettes. Ilya est facilement reconnaissable: il a perdu un bras et un œil au combat en 2014, dans le Donbass, alors qu'il s'était engagé auprès du bataillon Azov. «Il ne m'a pas dit tout de suite qu'il faisait partie du bataillon Azov», confie Dariya.

«Je croyais que c'était toutes de grosses brutes d'extrême-droite. Mais Ilya était différent»
Dariya
Pour les blessés de guerre ukrainiens, rien n'est plus comme avant.
Dariya.ch media

Alors que l'invasion russe frappe le pays, elle tombe amoureuse du jeune homme.

Illya rentre avec la barbe et les cheveux longs

Il n'empêche, cette unité reste controversée et ne fait pas l'unanimité auprès des Ukrainiens. En 2014, elle s'était présentée avec un insigne représentant une Wolfsangel bleue sur fond jaune. Ce symbole à l'allure de crochet a été utilisé par les SS durant la Seconde guerre mondiale. Pour la Russie, il s'agit de l'exemple parfait pour étayer la thèse d'un régime néo-nazi en Ukraine.

La réputation du régiment Azov change peu à peu. L'Ukraine finit par le placer sous la tutelle du ministère de l'Intérieur et même d'anciens opposants voient désormais en elle une unité d'élite politiquement neutre, qui s'est éloignée de son idéologie originelle.

Après sa capture à Azovstal, Darya passe de longs mois sans Illya. Il finit par rentrer à l'automne 2022, échangé avec d'autres combattants de Marioupol contre des prisonniers de guerre russes. Physiquement, il semble en bon état. «Sa barbe et ses cheveux sont devenus longs, mais c'est tout», explique Dariya. D'autres prisonniers ukrainiens, en revanche, sont rentrés squelettiques.

La jeune femme de 23 ans fonde au printemps, avec d'autres épouses et compagnes, l'association des familles des défenseurs de l'aciérie d'Azovstal.

Illya revient, puis repart au front

Mais les choses ne se passent pas comme elle l'espérait. Lors de leurs retrouvailles, Illya s'empresse de lui demander si elle réside toujours dans son appartement. Après quelque temps, il s'éclipse et retourne au front. La jeune femme est effondrée:

«Quelques semaines plus tard, il rompt définitivement le contact avec moi»
Dariya

En octobre, elle tombe dans la dépression. Entre-temps, Dariya est devenue active en faveur des prisonniers et des déportés d'Azovstal. Les efforts déployés pour la libération d'Ilya, qui se sont soldés par un rejet, en valaient-ils la peine? Pour la jeune femme, son militantisme dépasse pourtant son lien avec le jeune homme:

«Je continue à travailler dans notre association. Il y a tant de familles qui ne savent pas où sont leurs maris et comment ils se portent en captivité...»
Dariya

Un million de vétérans

Si la guerre devait se terminer aujourd'hui, ce seraient un million d'anciens combattants qui seraient présents dans la société ukrainienne. C'est ce qu'explique Irina Shamraïva, du ministère de l'Intérieur, qui précise que «si on y ajoute leurs familles, cela fait quatre millions de personnes touchées».

Au moins six millions de civils auraient besoin d'une assistance sanitaire et psychosociale, à l'instar des anciens combattants. Les personnes déplacées et bombardées, mais aussi celles qui ne sont plus en mesure de supporter le poids psychologique de la guerre, font partie des personnes concernées.

L'Ukraine comptait 44 millions de personnes au début de l'invasion russe. Elle estime que 10 millions d'entre eux ont été touchés par la guerre, d'une manière ou d'une autre, et ont potentiellement besoin d'une aide psychologique.

Chaises roulantes et prothèses

Irina Shamraïva travaille avec des psychologues de tout le pays sur un concept visant à contrer le flot de souffrances humaines. Le gouvernement de Kiev ne peut pas sortir de son chapeau suffisamment de thérapeutes pour guérir tout le monde. Les autorités comptent sur des volontaires issus de la société civile.

La mission de ceux-ci? Aider ceux qui ont besoin d'une prise en charge à court terme. Elle estime que sur les dix millions de personnes concernées, deux millions pourraient déjà être sérieusement atteintes de troubles psychiques.

Pour les blessés de guerre ukrainiens, rien n'est plus comme avant.
Irina Shamraïvach media

A cela s'ajoutent les soldats et les civils physiquement marqués. Le nombre de blessés de guerre, qui augmente de jour en jour, est difficile à déterminer, explique la représentante du gouvernement.

«Rencontrer des Ukrainiens en fauteuil roulant ou avec des prothèses sera la norme, après cette guerre. Nous devrons, en tant que société, nous y adapter»
Irina Shamraïva

L'histoire d'Ivan

Ivan hisse son corps musclé en faisant des tractions sur une barre. Son mollet gauche ressemble à celui d'un footballeur professionnel. Mais pour son mollet droit, c'est une autre histoire: il ne reste qu'un creux envahi de tissu cicatriciel.

Le soldat de 27 ans est suivi dans un centre de rééducation financé par l'organisation américaine «Revived Soldiers» dans la banlieue de Kiev, à Irpin, où ont eu lieu de violents combats en mars 2022. Lorsqu'il marche, Ivan traîne légèrement la jambe gauche. Mais on ne se doute pas qu'il n'y a plus qu'un morceau de métal qui relie sa jambe à son bassin.

Ivan balaye l'écran de son smartphone et montre les images de sa jambe prises à la clinique, à son arrivée. La balle qui l'a touché a d'abord déchiré tout le mollet droit, avant de pénétrer dans sa cuisse gauche. Le projectile lui a brisé l'os fémoral, qui a été remplacé par les médecins par une tige métallique. Heureusement, les éclats ont été retirés.

Apprendre à vivre avec une prothèse

Dans le centre de rééducation d'Irpin, les soldats ukrainiens doivent réapprendre à se mouvoir après des blessures à la tête ou à la colonne vertébrale, ou encore de vivre avec leur nouvelle prothèse, après avoir subi une amputation.

Tetiana Groubeniouk, qui dirige le centre de rééducation, décide quel soldat sera accueilli aux frais de l'aide américaine. La tâche est difficile: «Il y a trop de demandes pour notre petite équipe, nous n'avons que cinq spécialistes, ici», regrette-t-elle.

Elle critique les aides de l'État pour les soldats blessés, les jugeant trop compliquées. La bureaucratie ne fait que ralentir les choses. «Il manque des places dans les établissements publics.»

Un éclat de balle dans la tête

Dmytro Triboy était logopédiste avant de partir en 2019 pour la guerre, lorsqu'elle se limitait encore au Donbass. Au front, une balle l'a touché en pleine tête. Ironie cruelle de la guerre: lui qui aidait autrefois d'autres personnes à résoudre leurs problèmes de langage, a désormais perdu l'usage complet de la parole. Il a des problèmes à se souvenir de certains mots et d'en produire d'autres.

L'homme de 33 ans essaie d'expliquer du mieux qu'il peut aux blessés du centre de rééducation d'Irpin que malgré leur blessure, leur vie n'est pas gâchée:

«Je veux leur montrer que, même avec un éclat de balle dans la tête, on peut encore accomplir beaucoup de choses»
Dmytro Triboy

Retour à la normale?

Lorsqu'on leur demande comment ils se sentent un an après le début de la guerre, de nombreux habitants de Kiev répondent par un geste: ils bâillent et mettent la main devant leur bouche. Les alertes aériennes quasi quotidiennes ne vident plus les cafés et les magasins depuis longtemps.

Les images de personnes qui patientent dans les stations de métro, les yeux rivés sur leur téléphone portable avec angoisse, ne font plus partie du paysage de la capitale. La guerre fait désormais partie du quotidien et les gens ne sont plus impressionnés. Pourtant, lorsqu'on les interroge, l'épuisement domine chez beaucoup.

Soulager la souffrance avec des peluches

Youlia Jdanovitch est psychothérapeute. Elle explique ce qu'une année de guerre provoque dans le cerveau des gens. L'excès d'hormones de stress empêche de rentrer dans le sommeil profond.

«Si on ne trouve aucun remède au stress, c'est la dépression assurée»
Youlia Jdanovitch
Pour les blessés de guerre ukrainiens, rien n'est plus comme avant.
Youlia Jdanovitchch media

La thérapeute traite gratuitement les enfants, mais aussi les adultes, dans son cabinet de Kiev. Son approche est inspirée de la thérapie israélienne «Hibuki». Les hibukis, ce sont de petits chiens en peluche qui ont l'air tout tristes. Si tristes qu'ils font mal au cœur, et en même temps, ils sont mignons et donnent envie de leur faire un câlin. Le but? Que l'enfant ouvre ses sentiments au petit chien.

La thérapie hibuki nécessite des peluches brevetées en Israël. Mais les besoins en outils thérapeutiques en Ukraine sont trop importants et urgents pour cela. «Nous utilisons des peluches ordinaires, avec lesquelles nous obtenus un effet similaire», explique la thérapeute.

Les thérapeutes ukrainiens traitent les adultes et surtout les enfants traumatisés avec des peluches dans toute l'Ukraine. Youlia Jdanovitch s'est également acheté un ours en peluche... pour elle-même. Elle le prend dans ses bras chaque soir, après les séances de thérapie, confie-t-elle. C'est illusoire, mais elle cela lui fait du bien. «Et pendant un instant, je me sens protégée.»

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