Les services spéciaux ukrainiens, ou services secrets ukrainiens, connus sous l’abréviation SBU, auraient exécuté un «traître» cette semaine. Les agences de presse russes ont indiqué que le corps d’Illia Kyva a été retrouvé mercredi 6 décembre dans un hôtel près de Moscou, dans le district d’Odintsovo. Selon une source proche du SBU, ce politique ukrainien pro-russe a été «liquidé» dans le cadre d’une «opération spéciale».
Député de 2019 à 2022 de la Rada, le Parlement ukrainien, Illia Kyva a un temps dirigé le Parti socialiste d'Ukraine et a été membre de la Plateforme d'opposition - Pour la vie -, deux partis bannis en mars 2022 par le président Volodymyr Zelensky pour leurs liens supposés avec la Russie. Andriï Ioussov, porte-parole du renseignement militaire ukrainien (GUR), a «confirmé» à la télévision la mort de l'ancien député.
Un ton clair et affirmé pour un service qui, en dehors de régler leurs comptes à ses «traîtres», tente aussi de se refaire une image. Car depuis sa création, il y a un peu plus de 30 ans, les débâcles et les revers se sont multipliés au sein des services secrets ukrainiens. La crédibilité de l'organisation, truffée d'espions russes, a souvent été remise en question, à l'international et au cœur même de l'Ukraine.
Le SBU, créé en 1992, a succédé à la section ukrainienne du KGB soviétique après l'indépendance de l'Ukraine en 1991. Mais le service garde la majorité de son personnel, sans faire le ménage en interne, comme l'explique, en 2015 au Wall Street Journal, Ihor Smeshko, ancien chef du renseignement et conseiller du président ukrainien d'alors, Petro Porochenko.
L'ancien chef des renseignements ukrainiens dit encore que lors de la chute de l'URSS, deux brigades spécialisées du renseignement militaire, qui relevaient autrefois de Moscou, ont été laissées sur le sol ukrainien. Des liens avec la Russie, au point que le SBU est soupçonné d'avoir tenté d'empoisonner en 2004 son futur président Viktor Iouchtchenko, alors leader de la révolution Orange, sous l'influence de Moscou.
L'organisation, qui lutte depuis de longues années contre les intrigues internes, la corruption et la trahison, a du mal à se stabiliser. Prenons pour exemple le cas Aleksandr Grigoryevitch Iakimenko. Le chef du SBU de janvier 2013 à février 2014 a fui vers la Russie lors de la chute du gouvernement ukrainien pro-russe en 2014. Son successeur, Valentyn Nalyvaichenko, qui avait déjà été à la tête du SBU quelques années plus tôt (et quitté en raison de l'arrivée du gouvernement pro-russe), a découvert des locaux vidés de ses hauts responsables, comme il le racontait alors auprès du Wall Street Journal.
Une autre affaire interne a largement ébranlé les services secrets ukrainiens. Toujours en 2014, un cambriolage d'ampleur est commis dans les locaux du SBU, relate en décembre de la même année le média Mashable. Des données concernant plus de 22 000 officiers russes sont volées ou massacrées.
Un «casse» attribué au président ukrainien pro-russe d'alors, Viktor Ianoukovitch, après sa fuite à Moscou. Mais les problèmes liés à l'infiltration d'agents russes au SBU ne s'arrêtent pas là et continuent, aujourd'hui encore, de donner du fil à retordre au gouvernement ukrainien. Pour preuve, l'actuel président Volodymyr Zelensky a, lui aussi, tenté de faire le ménage au sein du SBU. En juillet 2022, alors que son pays est en guerre depuis des mois suite à l'invasion russe, il démet de ses fonctions son ami de longue date Ivan Bakanov, alors à la tête des services secrets ukrainiens. Ce dernier est accusé d'avoir été laxiste, incapable de traquer les agents russes infiltrés, ce qui aurait affaibli la défense du pays, selon les justifications de Kiev.
La crédibilité des services secrets ukrainiens n'a pas été mise à mal uniquement en raison de son infiltration à grande échelle par la Russie. La CIA et le SBU entretiennent des liens étroits. Si étroits que certains pays soupçonnent le service américain de tirer les ficelles chez son partenaire ukrainien. Des exemples? En 2016, le chef du département de contre-espionnage du SBU Iouri Ivantchenko est arrêté en Russie, qui assure que ce lieutenant-colonel ukrainien a été «formé par la CIA et envoyé en Russie pour infiltrer le FSB (service de renseignement russe)». Comme l'explique le Huffington Post dans un article de 2016, le FSB accusait Iouri Ivantchenko d'être une taupe du SBU, à la solde de la CIA.
Des accusations russes en partie étayées par une longue enquête menée par le Washington Post, publiée en octobre dernier, sur la base de dizaines de témoignages anonymes d'anciens et d'actuels agents américains, ukrainiens et occidentaux au sens large. Selon des responsables cités par le journal américain, «depuis 2015 (soit depuis l'annexion de la Crimée par la Russie), la CIA a dépensé des dizaines de millions de dollars pour transformer les services ukrainiens formés par les Soviétiques pour en faire de puissants alliés contre Moscou». La CIA forme et équipe des agents ukrainiens, en Ukraine comme aux Etats-Unis, mais ne serait pas impliquée dans les assassinats commis par son allié.
Un penchant pour les meurtres qui mettrait mal à l'aise les Etats-Unis, surtout lorsqu'ils visent des civils russes plutôt que des Russes directement liés à la guerre. On peut citer par exemple l'assassinat de Daria Douguina (lire en fin d'article).
La discutable crédibilité des services secrets ukrainiens est aussi due à certaines déclarations sans fondement de ses têtes pensantes. Ainsi, en 2016, alors que des attentats visent Bruxelles, le chef du SBU Vassyl Grytsak tient des propos douteux à la télévision à propos de l'origine de l'attaque.
La réponse du premier ministre russe Dmitri Medvedev ne se fait pas attendre. Il qualifie de crétin le chef du SBU dans un communiqué publié sur Facebook. Les attentats sont, dans la foulée, revendiqués par l'Etat islamique.
Une autre accusation du SBU avait suscité l'étonnement de la communauté internationale. Le 6 juin 2016, à la frontière polonaise, les services secrets ukrainiens arrêtent Grégoire Moutaux, un Français qu'ils accusent de préparer non pas un, ni deux, mais quinze attentats en marge de l'Euro de football. L'homme, interpellé «en possession de 125 kg de TNT, deux lance-roquettes antichars, cinq fusils d'assaut Kalachnikov et plus de 5 000 munitions» selon l'Ukraine, y est considéré comme un terroriste. Pour la France, il s'agirait plutôt d'un simple trafiquant d'armes, comme le soulignent les médias français.
En 2018, le Français est condamné à six ans de prison en Ukraine, qui n'a pas expliqué, comme l'écrit France 24, comment «cet homme seul et sans réseau aurait pu préparer quinze attentats. Il n'était pas clair non plus comment le jeune homme avait pu financer l'achat de cet arsenal d'armes, et s'il avait un complice. Certains observateurs s'interrogeaient également sur son arrestation, filmée de A à Z et qui ressemblait pour eux à une mise en scène».
Après des années d'échecs et de revers en tout genre, il semble que l'Ukraine essaie aujourd'hui, en marge de la guerre, de redorer le blason de ses services secrets. Depuis une réforme en 2019, le SBU dit désormais se concentrer sur le contre-espionnage, la lutte contre le terrorisme, la cybersécurité, la protection de l’Etat national et de l’intégrité territoriale, et celle des secrets d'Etat. Sous l'égide de Vassyl Maliouk, à la tête de l'organisation depuis juillet 2022, l'organisation, qui compterait environ 30 000 employés, s'en prend ainsi à ses «traîtres», mais également à des responsables russes, dans des attaques qu'elle revendique.
Des attaques, parfois mortelles, ont régulièrement lieu dans les quatre territoires ukrainiens dont Moscou revendique l'annexion, soit Donetsk, Lougansk, Kherson, Zaporijjia, visant des responsables de l'administration d'occupation russe. Début novembre, dans la région de Lougansk, l'Ukraine a revendiqué l'assassinat à la voiture piégée de Mikhaïl Filiponenko, un député et ancien haut responsable militaire local.
Les services de sécurité russes ont pour leur part accusé Kiev d'être derrière la tentative d'assassinat fin octobre en Crimée annexée d'un ancien député ukrainien passé côté russe, Oleg Tsariov. Moscou a aussi accusé l'Ukraine d'être à l'origine de plusieurs assassinats ou tentatives d'assassinats en territoire russe depuis février 2022, à l'image de Daria Douguina, fille de l'auteur ultranationaliste Alexandre Douguine, tuée en août 2022.
La voiture dans laquelle la femme de 29 ans est morte avait été piégée par une bombe venue d'Ukraine, passée un mois plus tôt par la frontière dissimulée dans une boîte pour transporter les chats d'une mère et de sa fille de douze ans, selon des sources anonymes citées par l'enquête du Washington Post.
Le SBU se targue aussi d'être à l'origine de sabotages. Récemment, Kiev a revendiqué deux opérations qui se sont déroulées les 29 et 30 novembre sur des trains transportant du carburant en Bouriatie, dans l'Extrême-Orient russe. C'est la première fois que de telles opérations sont menées à des milliers de kilomètres du front. Le FSB a annoncé le 7 décembre l'arrestation d'un ressortissant biélorusse, accusé de ces deux attentats. Selon Moscou, le suspect a «avoué» avoir placé «huit engins explosifs» sur les wagons-citernes de ces trains, agissant sur les ordres des «services de sécurité ukrainiens».