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«Je mourrai ici»: avec les Ukrainiens qui vivent sur le front

Raïssa près d'une école endommagée dans la ville de Bilytske, dans la région de Donetsk, le 13 mars 2025.
Raïssa près d'une école endommagée dans la ville de Bilytske, dans la région de Donetsk, le 13 mars 2025.Image: AFP

«Je mourrai ici»: avec les Ukrainiens qui vivent sur le front

Dans la petite ville de Bilytske, à 15 kilomètres de Pokrovsk, l'une des zones les plus actives du front, les habitants refusent de s'en aller malgré le bourdonnement des drones russes. Reportage.
20.03.2025, 05:3920.03.2025, 05:39
Florent VERGNES et Khystyna ZANYK / Afp
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Il est dix heures. Raïssa sort de chez elle, suivie de sa meute de chiens affamés dont les aboiements ne suffisent pas à couvrir les détonations d’artillerie. «Tous les jours, je me lève, je prépare la nourriture pour les animaux, puis je pars au boulot», confie-t-elle en arpentant les rues délabrées, un sac en plastique rempli de morceaux de poulet à la main.

Raisa, assise sur un banc, est entourée de chiens errants dans la ville de Bilytske, dans la région de Donetsk, le 13 mars 2025, au moment de l'invasion russe de l'Ukraine. Il était dix heur ...
Raïssa entourée de chiens errants dans la ville de Bilytske, le 13 mars 2025. Il était dix heures.Image: AFP

Raïssa, 65 ans, «tamponne des feuilles» pour le compte de l'administration de sa petite ville de Bilytske, située à 15 kilomètres au nord de Pokrovsk, une des zones les plus actives du front, dans l'est de l'Ukraine. C’est la dernière agglomération avant les combats. A quelques kilomètres plus au sud seulement, les drones russes bourdonnent et les carcasses de voitures au bord des routes illustrent le danger à s'y aventurer.

Que pense Raïssa de la trêve de 30 jours esquissée mardi par les Etats-Unis et l’Ukraine, mais sur laquelle Vladimir Poutine a émis des réserves? «Je n’y crois pas», tranche-t-elle. «Rien de bon n’arrivera. Les bombardements sont sans fin», dit Raïssa, «qui ne dort plus la nuit» mais a néanmoins décidé de rester.

Pour elle, rien n’est plus important que ces chiens, ramenés du front par des soldats et pour lesquels elle dépense la plus grande partie de son salaire. Raïssa ne partira que s'ils périssaient dans les bombardements.

Déterminés à rester

Vers 11 heures, elle est au travail et manie son tampon. Son voisin Sergueï se rend devant la mairie détruite pour puiser quelques litres d’eau potable. Nostalgique, il passe par son ancienne école, rasée par les missiles russes en juin. «On voit les oiseaux», dit-il, les yeux tournés vers un trou béant dans le plafond d'une salle de classe. «Quand on était jeunes avec mon ami, on voulait que l’école soit détruite», se souvient-il avant un silence. Et d'ironiser, caressant sa longue barbe blanche:

«C’est un rêve devenu réalité... en quelque sorte»

Dans les rues clairsemées de Bilytske, où vivaient 8000 personnes avant la guerre, on croise avant tout des soldats et des retraités qui refusent de partir. Sergueï est revenu ici depuis le Portugal pour s’occuper de sa mère, déterminée à rester.

A midi, c'est l'heure de la retrouver à l'église, où elle entame le carême. Là, popes et veuves de mineurs de fond de ce bassin houiller prennent un repas frugal de pommes de terre après avoir dit le bénédicité. Plongés dans l'odeur d’encens, les fidèles y sont persuadés d'être sous protection divine, qu'importent les détonations. Un prêtre, le père Serguiï, déclare:

«Dieu dit que le monde ici-bas est mauvais. S’il y a la guerre, c’est parce que les gens ne croient plus!»
Le père Ivan, 56 ans, dirige une cérémonie funéraire dans une église orthodoxe locale de la ville de Bilytske, dans la région de Donetsk, le 3 mars 2025.
Le père Ivan, 56 ans, dirige une cérémonie funéraire dans une église orthodoxe locale de Bilytske, le 3 mars 2025.Image: AFP

Mourir ici

A côté, le père Ivan, 56 ans, soupire car la plupart des paroissiens ont fui la ville bombardée. Seuls «les plus solides» sont restés, assure-t-il, comparant la petite église à l'arche de Noé. «Les gens essaient de s’accrocher à ce qu’ils ont mis une vie à construire», confie le religieux pour expliquer la présence de ces civils dans une zone de guerre. Et d'ajouter:

«Nous avons travaillé dur toute notre vie, et en fin de compte, tout cela s’est avéré être sans grande importance»

Khrystyna, une fidèle qui débarrasse la table à manger de l’église, dit être restée ici malgré la peur des explosions et le départ à Kiev de sa fille avec son nouveau-né. Cette ancienne trieuse de charbon de 64 ans s'occupe de sa maison et espère que sa fille reviendra. Et d'admettre tristement:

«Je ne pense pas qu’elle veuille rentrer»

Quant au risque de se retrouver sous le contrôle de la Russie? «Nous n’avons pas le droit d’avoir peur, c’est la volonté de Dieu», esquive Khrystyna.

«Si je dois mourir ici, alors je mourrai ici»

Vers 16 heures, les cérémonies religieuses s'achèvent, les fidèles retournent chez eux. La lumière du jour décline. Raïssa quitte son travail où elle n’accueille plus grand monde. Elle retourne nourrir ses chiens au son des obus.

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