Quand le soleil s'aventure sur Kramatorsk, ville de l'est ukrainien meurtrie par la guerre, l'organisation Svitanok laisse ses portes grandes ouvertes, pour offrir une aide ou une tasse de thé aux personnes marginalisées.
Travailleurs du sexe, séropositifs ou toxicomanes reçoivent, dans cette ONG locale, une aide médicale et un répit vital pour ces communautés stigmatisées et se sentant souvent abandonnées et en insécurité, dans un pays ravagé par trois ans d'invasion russe.
«Je suis juste venu boire un thé. Ils vont me soigner, je sais qu'ils m'accepteront», explique Oleg Makaria, séropositif, devant l'ONG où la plupart des travailleurs ont le VIH. Cet habitué ne réagit plus guère aux sirènes aériennes qui retentissent quotidiennement dans les rues de Kramatorsk, à seulement 20 kilomètres du front, souvent ciblée par des frappes russes.
Cet homme affable de 41 ans plaisante même en disant qu'il ne fait pas son âge. Mais il s'effondre soudain en pensant à Donetsk, sa ville natale, sous contrôle russe depuis 2014.
En 2014, des séparatistes soutenus par Moscou ont pris une partie de la région de Donetsk, prélude à l'invasion russe de grande échelle de 2022 qui, selon l'ONU, a déplacé plus de 11 millions de personnes. Ce conflit a perturbé les traitements quotidiens de nombreux Ukrainiens vivant avec le VIH; environ 250 000 en 2020 selon ONUSIDA.
L'avancée russe menace également les thérapies contre l'addiction dans les zones contrôlées par Moscou, car la Russie interdit les substituts opiacés, essentiels pour remplacer les drogues dures.
Natalia Zelenina a été arrêtée en 2017 dans la région par des séparatistes prorusses pour avoir transporté un traitement de substitution, pourtant prescrit légalement.
Aujourd'hui, rien ne laisse penser que cette rayonnante assistante sociale, cinquantenaire aux cheveux roux et aux lèvres rose vif, a passé cinq ans en détention en Russie, où elle s'est battue pour obtenir un traitement contre le VIH, que ne voulaient pas lui fournir ses geôliers. «J'ai survécu, j'ai tout enduré. J'ai tout traversé. Je n'ai pas craqué», lance-t-elle.
Après avoir été libérée et transférée en territoire contrôlé par Kiev, dans le cadre d’un échange de prisonniers, Natalia est retournée auprès de l'ONG Svitanok, sachant qu'elle ne pourrait se «rétablir que dans un environnement familier».
Devant le bâtiment, à l'angle d'une rue aux vitres soufflées par les bombes, Iryna Mamalakieva regarde son fils Maksym, quatre ans, cueillir des pissenlits. Cette ancienne mineuse au chômage, diagnostiquée séropositive en 2019, dépend de Svitanok pour obtenir une aide médicale et juridique.
«Certaines personnes abandonnent», lâche la jeune femme qui dit connaître des cas où des parents «se sont saoulés à mort et sont allés se pendre» après avoir découvert qu'ils avaient le VIH.
L'invasion de 2022 a encore fragilisé les plus vulnérables. Une bénévole confie à avoir replongé «juste un peu» dans la drogue pour soulager son anxiété face à la guerre. Elle s'en est sortie grâce à ses collègues.
Svitlana Andreïeva, une autre bénévole, explique à l'AFP que la stigmatisation a aussi augmenté. Hors de cette ONG, le reste du monde «leur dit qu'ils ne sont personne, qu'ils ne sont pas acceptés, qu'ils ne sont pas respectés».
Elle se souvient d'avoir été expulsée des hôpitaux et battue par la police parce qu'elle était toxicomane et séropositive. Elle a ensuite appris ses droits, des connaissances juridiques qu'elle partage avec des visiteurs ayant vécu des expériences similaires.
Mais Svitanok fait face à un autre défi: la réduction de l'aide humanitaire américaine, décidée par le président Donald Trump. Bien que l'ONG ait survécu au gel de ces fonds, dont elle dépend en partie, elle lutte pour trouver de nouvelles sources de financement.
Face à cette incertitude, Natalia Zelenina, l'assistante sociale, a perdu son «équilibre».