Comme beaucoup de jeunes de son âge, Artiom, Russe de 18 ans, dit «passer la moitié de sa vie» à flâner sur internet, d'un site web à l'autre. Un passe-temps qui pourrait être remis en cause par une nouvelle loi, qui entrera en vigueur en septembre, punissant la recherche de contenus jugés «extrémistes».
Ce qualificatif a une définition très large, et peut désigner des groupes terroristes aussi bien que des opposants politiques. Quelques exemples? Chercher à savoir qui est le défunt opposant Alexeï Navalny ou ce qu'est le «mouvement international LGBT», tous deux classés «extrémistes», pourraient désormais valoir des amendes jusqu'à 5000 roubles (environ 55 euros).
Or, le jeune Artiom affirme s'intéresser à tout type de sujets: «l'avenir de notre pays, la politique de nos leaders, celle des gouvernements étrangers». Il considère qu'avec la nouvelle loi, sa vie va basculer, car il devra faire attention au moindre clic.
Artiom se tiendra par exemple à l'écart des sites de pays dits «inamicaux», un terme souvent utilisé pour désigner les Occidentaux. Et ces sites «sont ceux qui m'intéressent le plus», lâche-t-il avec dépit.
Un autre Moscovite, Sergueï, avoue avoir peur. Comme la plupart des personnes interrogées, il a préféré ne pas donner son nom de famille. Ce créateur de bijoux de 33 ans, bandana et piercing, s'inquiète:
La nouvelle législation a suscité l'inquiétude jusque chez les partisans du Kremlin, provoquant une rare opposition d'une soixantaine d'élus. «Même les jeunes pro-gouvernementaux s'opposent à cette censure», affirme un professeur d'histoire d'une université moscovite, sous le couvert de l'anonymat.
Un expert en sécurité informatique, préférant lui aussi rester anonyme, rappelle que «la loi déroge au principe garanti par la Constitution selon lequel lire ne peut pas être punissable».
Il juge ainsi que la Russie se rapproche d'un modèle de surveillance et de contrôle appliqué par les autorités chinoises.
La militante des droits de l'Homme Svetlana Gannouchkina considère, elle, que le but du Kremlin est de «semer la peur et d'étouffer toute volonté de résister». «Craignant l'irritation générale face à cette guerre insensée contre l'Ukraine, le pouvoir prend des mesures hystériques», résume cette Russe de 83 ans, classée «agent de l'étranger» par les autorités de son pays.
Une autre nouvelle loi interdit de faire la promotion des VPN, systèmes très utilisés en Russie pour contourner la censure. La plateforme de vidéos Youtube n’est déjà accessible en Russie que via VPN, ainsi que les réseaux sociaux du groupe Meta, propriétaire de Facebook et Instagram, proclamé «extrémiste».
Une législation distincte permettra aussi dès septembre de reconnaître «extrémiste» une communauté entière si l'un de ses membres a été classé comme tel. Plusieurs communautés en ligne, notamment ceux de correspondants écrivant aux prisonniers politiques, ont déjà dû fermer ou se réorganiser face à la nouvelle législation.
Pour Natalia, 50 ans, administratrice d'une école, «cette loi n'est qu'une bêtise». Elle juge que tout un groupe «ne peut pas être tenu responsable» pour les activités d'un seul de ses membres. Elle se moque:
L'expert en sécurité numérique rappelle toutefois que la censure sur internet «à l'échelle nationale est difficilement réalisable». Selon lui, la loi ciblera avant tout les personnes qui étaient déjà dans le viseur des autorités pour leurs positions politiques.
(afp/acu)