Le milliardaire Ihor Kolomoïsky a été arrêté samedi pour suspicion de fraude et blanchiment d'argent, a annoncé le service de renseignement intérieur ukrainien. Le jour même, l'éminent oligarque a dû comparaître devant un tribunal de Kiev. Depuis, il est assigné à résidence jusqu'au 31 octobre, la caution ayant été fixée à environ de 14 millions d'euros.
Mais qui est l'homme accusé de graves crimes financiers et pourquoi son arrestation est-elle si spectaculaire?
Pourquoi Kolomoïsky fait-il l'objet d'une enquête? Les accusations portées contre ce banquier de 60 ans originaire de la ville de Dnipro, dans l'est de l'Ukraine, sont lourdes. Il aurait ainsi fraudé plus d'un demi-milliard de hryvnia ukrainiens (environ 12,5 millions d'euros) entre 2013 et 2020 et les aurait sortis du pays, et ce, avec l'aide de banques ukrainiennes. Une enquête sur cette affaire est en cours, ont indiqué les autorités. Toutefois, ses avocats ont déjà fait savoir qu'ils comptaient faire appel de la décision d'assignation à résidence.
Ihor Kolomoïsky est né en 1963 à Dnipro, une ville ukrainienne qui faisait jadis partie de l'Union soviétique. Il a étudié l'ingénierie à l'Institut métallurgique de sa ville natale et a fondé une banque avec plusieurs partenaires commerciaux après la chute du rideau de fer (la frontière entre d'un côté la Yougoslavie et les États européens). Ils ont finalement transformé cette banque privée en un grand groupe avec des participations dans l'industrie pétrolière, chimique, énergétique, médiatique et alimentaire ukrainienne.
Kolomoïsky a également été pendant un certain temps président du club de football Dnipro Dnipropetrovsk et a également été gouverneur de la région de Dnipro de 2014 jusqu'à sa destitution en 2015. Il possède les nationalités chypriote et israélienne et est très engagé auprès des communautés juives d'Europe de l'Est. Sa fortune est estimée à un milliard de dollars américains selon le magazine spécialisé Forbes.
Le puissant oligarque aurait joué un rôle important dans l'entrée de Zelensky en politique. Le président ukrainien aurait rencontré l'avocat et conseiller de Kolomoïsky, Andriy Bohdan, en 2019 pour discuter d'un soutien de l'oligarque à Zelensky, alors candidat à la présidence. Ce dernier vivait à l'époque en exil en Israël. Kolomoïsky aurait ensuite effectivement aidé l'ancienne star de la télévision pendant la campagne électorale, notamment par le biais de ses entreprises de médias qui auraient fait de la publicité pour Zelensky. Après l'élection de Zelensky, Bohdan est devenu l'homme le plus important du bureau présidentiel.
«Il n'est guère surprenant que beaucoup en Ukraine aient considéré Zelensky comme le candidat de Kolomoïsky», écrivait en 2021 le groupe de réflexion américain Atlantic Council à propos des liens entre les deux hommes. Kolomoïsky a été surnommé en Ukraine le «marionnettiste» – et Zelensky aurait été son jouet préféré, une accusation que l'actuel président a lui-même rejetée dans une interview.
L'action musclée des services de sécurité et de la justice ukrainienne pourrait être liée aux efforts de lutte contre la corruption que le gouvernement de Zelensky intensifie actuellement. Ces efforts sont nécessaires pour permettre au pays d'adhérer à l'UE et à l'OTAN.
Le président Zelensky veut apparemment convaincre ses partenaires occidentaux que son gouvernement met tout en œuvre pour rapprocher l'Ukraine des normes occidentales, notamment en matière de lutte contre la corruption. Dans le même temps, il pourrait également vouloir donner le signal, sur le plan de la politique intérieure, que des mesures seront prises à l'encontre des figures douteuses de la politique ukrainienne.
Mais que risque Zelensky en agissant de la sorte? Dans son rapport de 2021, l'Atlantic Council considérait déjà le conflit entre Zelensky et le puissant oligarque comme «un test de résistance très important» pour les efforts de lutte contre la corruption. Selon le rapport, l'influence étendue de Kolomoïsky en Ukraine «représente un risque considérable pour la qualité de la démocratie et les réformes économiques du pays». Il est ainsi reproché au milliardaire d'avoir œuvré, avant même l'entrée en fonction de Zelensky, à la destitution d'un procureur qui enquêtait sur lui.
Le bureau du président ukrainien n'a fait aucune déclaration depuis l'arrestation de Kolomoïsky samedi. En juillet, le président avait seulement annoncé vouloir retirer la nationalité ukrainienne à l'oligarque chypriote israélien, car la loi ukrainienne n'autorisait pas la double nationalité.
Lorsque les Etats-Unis ont annoncé en mars 2021 qu'ils allaient imposer des sanctions à Kolomoïsky, la présidence ukrainienne a déclaré:
Sur ce chemin, on est reconnaissant du soutien de tous les partenaires, a-t-on ajouté.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)