Avec 17 livres publiés en dix ans, Nicola Schmidt, autrice à succès en Allemagne, ne semble pas connaître de panne d’inspiration. Aujourd’hui âgée de 48 ans et mère de deux enfants, elle vient de sortir son dernier ouvrage: Zehn wirklich wichtige Gespräche, die Kinder und Eltern wachsen lassen (Dix conversations vraiment importantes qui font grandir les enfants et les parents, non traduit), consacré à la manière d’aborder des sujets sensibles avec ses enfants, comme la sexualité, l’argent ou encore le mensonge. Comment instaurer un dialogue de qualité avec eux? Nous lui avons posé la question, ainsi que bien d’autres.
Comment encourager un adolescent à continuer de parler avec ses parents?
Nicola Schmidt: Tout d’abord, il faut vraiment écouter. Trop souvent, les adultes interrompent, donnent des conseils ou corrigent. Il vaut mieux se contenter d'écouter et montrer de l’intérêt pour leur opinion, même si l’on n’est pas forcément d’accord.
Y aurait-il d'autres éléments essentiels?
Le respect est fondamental. Même si l’on est énervé ou si ce qu’ils disent nous semble absurde, il faut éviter les réponses comme «mais arrête tes bêtises, réfléchis un peu!» ou «Tu crois que l’argent pousse sur les arbres?».
Les bonnes discussions sont faciles les jours sans stress, mais quand le travail, les tensions familiales ou les soucis s’en mêlent, c’est plus compliqué...
C’est normal. C’est pourquoi il est important que d’autres personnes puissent s’occuper des enfants de temps en temps. On n’est pas faits pour s'occuper d'eux toute la journée. Trois ou quatre heures de qualité suffisent souvent. D’autres peuvent prendre le relais, et parfois mieux que nous. Un enfant de dix ans qui s’occupe d’un plus petit peut le faire avec plaisir, alors que nous, adultes, sommes souvent trop accaparés par nos responsabilités.
Comment gérer l’attention quand on a plusieurs enfants?
Il est possible de planifier certaines discussions, surtout dès l’âge de sept ans. Pour gérer une dispute entre fratrie, on peut initier le dialogue. En commençant par exemple avec une phrase du genre «tu viens de te disputer avec ta sœur, on devrait en parler. On prendra un moment ce week-end.»
Que faire quand un enfant n’écoute pas et n’en fait qu’à sa tête?
On est souvent pressés et on veut régler les conflits immédiatement. Mais les enfants ont besoin d’adultes sensibles, qui leur offrent un sentiment de sécurité. Parfois, le mieux est de dire «Je vois que tu es fatigué, on en reparlera demain» plutôt que de s’agacer avec un «Je te l’ai déjà expliqué cent fois!». On peut aussi adopter une approche bienveillante, par exemple «Essaie, je suis là pour toi si tu as besoin.»
Vous consacrez un chapitre à la mort et à la spiritualité. Peut-on en parler même si nous-mêmes avons encore des questions à ce sujet?
Bien sûr. Nous continuons tous d’apprendre. On peut tout à fait dire à son enfant: «je ne sais pas, cherchons ensemble.»
Vos enfants ont aujourd’hui 14 et 17 ans. Que feriez-vous différemment si vous deviez recommencer?
J’aborderais l’éducation sexuelle beaucoup plus tôt. Si on ne le fait pas avant la fin du primaire, on risque de laisser le champ libre aux demi-vérités colportées par les amis, la télé ou internet. Vers 10-11 ans, ils sont moins réceptifs et il faut parfois attendre longtemps avant qu’une nouvelle opportunité de discussion ne se présente. Même chose pour l’argent.
Justement, comment aborder la question de l’argent?
D’abord, en se demandant quelles sont nos propres croyances à ce sujet. Ensuite, en posant des questions simples à l’enfant: «Quels mots te viennent à l’esprit quand on parle d’argent? Que peut-on faire avec?» Puis, en fonction de son âge, on approfondit: «Pourquoi certaines personnes ont plus d’argent que d’autres? Comment fait-on des choix d’achat?» Cela permet de transformer une leçon en véritable échange.
Dans le livre, vous mentionnez également votre mère, qui avait un talent naturel pour la conversation empathique. Si vous ne l'avez pas, pouvez-vous l'apprendre?
Oui bien sûr! Il y a tout simplement des gens qui peuvent incroyablement bien s’identifier à l’âme d’un petit enfant. Et ils comprennent immédiatement, alors que le reste d’entre nous peut trouver cela plus difficile parce que nous regardons le monde du point de vue d’une personne de 30 ou 40 ans et nous pensons: «Qu’est-ce qu’il y a de dramatique là-dedans?»
Vous parlez beaucoup de l’importance d’être pleinement présent avec ses enfants, comme votre mère. Or, les parents sont souvent débordés... Comment s'en sortir?
Etre présent passe par le fait de prendre soin de soi. On se sent mieux quand on fait les choses les unes après les autres. Pourtant, on a tendance à tout faire en même temps, car on a appris à fonctionner ainsi. Il faut pouvoir se dire: «Ok, ce mode de fonctionnement m’a été utile, mais aujourd’hui, j’ai besoin d’un autre rythme.»
Est-ce plus facile lorsque chaque parent a un rôle bien défini, l’un à la maison et l’autre au travail?
Moins de stress signifie plus d’énergie et une plus grande capacité à voir les solutions. Les études montrent que les parents stressés ont une vision plus négative de leur situation et de leurs enfants. Ce n’est pas une question de volonté, c’est simplement un mécanisme du cerveau.
Comment la société pourrait-elle mieux soutenir les familles?
Il faudrait des logements avec plus d’espaces partagés, comme des buanderies ou des salons communs, qui faciliteraient l’entraide. Et aussi plus de sécurité: financière, mais aussi en matière de temps. Avoir la possibilité de s’absenter sans stress lorsqu’un enfant est malade, par exemple.
Est-ce réalisable?
Oui, mais cela demande un changement de mentalité. Dans certains pays, on a déjà des modèles qui fonctionnent: des quartiers pensés pour favoriser l’entraide, des entreprises qui permettent plus de flexibilité aux parents. Il faut une volonté politique et sociétale pour mettre en place ces solutions à grande échelle. Mais c’est possible et bénéfique pour tout le monde, car des familles soutenues signifient aussi des enfants qui grandissent mieux et deviennent des adultes plus équilibrés.
Vous signez là votre 17ème livre. Qu'est-ce qui a changé, selon vous, en dix ans en tant qu'auteure de guides sur l'éducation?
Les conditions externes sont devenues moins fiables. Les gens sont beaucoup plus sous pression, financièrement, mais aussi en termes de temps et de performance, dans ce qu'ils s'imposent.
Comment cela a-t-il changé votre approche du nouvel ouvrage?
Les parents d'aujourd'hui ont besoin d'un autre discours. Avant, on disait: vas-y, tu peux y arriver! Et aujourd'hui: tente-le, et on verra bien. De nombreux parents sont heureux de pouvoir simplement sortir la tête de l'eau. J'ai retravaillé mon premier livre en conséquence.
Par rapport à quoi, précisément?
A propos de ce qu'on peut attendre des parents. L'essentiel pour moi aujourd'hui est que mes guides ne soient pas une injonction supplémentaire sur une liste déjà longue pour les parents, mais un soutien, quelque chose qui nous porte, un hamac.
(Adaptation française: Valentine Zenker)