On a parlé BDSM et fessées avec la star de Winter Palace
Finis les proprets et jolis corsets de la série RTS Winter Palace. Dans son prochain film, prévu en salles pour le 5 novembre, Manon Clavel déploie martinets et godes-ceintures pour distribuer de mémorables fessées à des clients qui en redemandent.
Intitulé Kika, du nom de son personnage, le film met en scène Manon Clavel dans la peau d’une assistante sociale fauchée, qui en vient à vendre ses petites culottes sales pour survivre... avant d’explorer plus en profondeur l’univers du travail du sexe. Au programme, du BDSM et d’autres marges du désir, que la réalisatrice Alexe Poukine aborde avec une ironie douce et un œil plein de curiosité. Impossible de ne pas en parler.
L'interview
Le public romand vous a découverte avec la série RTS Winter Palace. Vous revenez avec un film parlant de sexualité extrême. On peut dire que vous n'avez pas peur de faire des sauts intergalactiques entre deux univers, d'un tournage à l'autre!
(rire) Oui. Kika, cela dit, ressemble plus à l'univers dans lequel je me suis inscrite depuis le début de ma carrière. J'ai commencé par le cinéma d'auteur, et j'ai continué sur cette voie, parfois dans de plus petits rôles. Au final, c'est plus Winter Palace qui est un pas de côté. Dans Kika, je retrouve un peu mes amours de cinéma, et mes premières expériences.
Qu'est-ce qui vous a fait dire «oui» en lisant le scénario de Kika?
Franchement, chaque ligne, chaque mot. Je suis tombée en amour. J'ai trouvé le scénario aussi drôle que complexe, et surtout intelligent. Alexe Pokine arrive comme personne à déjouer les codes ou inverser les rôles. De plus, elle est hilarante et sait mettre les gens à l'aise.
Les femmes dans Winter Palace et Kika ont-elles quelque chose en commun?
On pourrait dire que toutes deux, Rose Morel et Kika, s'occupent beaucoup des autres. Rose, dans le storytelling qu'on se faisait avec Pierre Monnard, est une femme qui est un peu la prof dans le village, et elle s'occupe de l'éducation des enfants. Kika est assistante sociale, avec un petit syndrome du sauveur. Elles ont aussi en commun de vivre des choses douloureuses. Rose Morel est écrasée et invisibilisée par son mari et la société. Kika perd son conjoint et se trouve poussée dans une grande précarité. Quelque part, ce sont toutes deux des femmes fortes.
La bande-annonce👇
Pour en revenir à l'inversion des rôles, Alexe Poukine nous fait réfléchir aux rôles de genre à travers les pratiques sexuelles...
Complètement, oui. Dans le schéma patriarcal, la femme subit la domination masculine. Kika renverse cette logique: les femmes y prennent le pouvoir à travers des jeux de rôle sexuels avec des hommes — des rapports de force consentis et choisis.
C'est votre premier film avec des scènes de nu?
Non, j'ai participé à un court-métrage
dans lequel j'étais nue une bonne partie du temps. J'ai aussi joué des scènes de sexe dans un film américain, mais celui-ci ne sortira pas.
Dans Kika, vous frappez des dos à coups de martinet, des parties génitales à coups de paddle. Vous êtes à l'aise pour montrer à l'écran une forme de sexualité qu'on pourrait décrire comme plus extrême et marginale?
J'irai plus loin, je dirais même que c’est indispensable, mais toujours en évitant les clichés et la «chorégraphie» dictée par la société: ce qu’on est censé aimer, ou la manière dont se font les préliminaires, entre autres.
Je ne voudrais pas me retrouver nue pour servir une scène comme celle-ci. C'est ce qu'on voit déjà beaucoup dans les films, et pour moi c'est une erreur de continuer à représenter ça.
Ce qui est assez frappant, c'est que les clients représentés dans le film sont des Monsieur Tout-le-monde, comme un vétérinaire. Qu'est-ce que ça dit sur la face cachée de la sexualité dans notre société?
Ça dit déjà que l'habit ne fait pas le moine. C'est un film qui parle un peu de ça; on ne peut pas juger les gens sur l'image qu'on se fait d'eux quand on les rencontre. La sexualité est un sujet vaste, et quand on se permet de creuser et des rechercher les désirs plus profonds et tabous, c'est comme si un monde s'ouvrait.
C'est vrai qu'on a eu l'impression de pénétrer dans un autre monde...
Le message que porte le film, avant tout, c'est qu'on ne peut pas juger, car la sexualité peut aussi être thérapeutique. Ce peut être un espace qui transcende les douleurs, et qui permet parfois de dépasser des traumatismes.
Et je suis sûre que plein de gens font des choses dans leur intimité dont on n'a même pas idée. C'est plus universel qu'on le croit.
Kika touche au BDSM. On voit même la jeune femme faire de son mieux pour satisfaire une demande extrême d'un client avec des excréments - scène qui finira, sans spoiler, de façon assez drôle. Avez-vous mis des limites, pour vous-même, ou à la réalisatrice?
Non, je n'ai pas eu besoin de mettre des limites à Alexe. Je pourrais la suivre jusqu'au bout du monde (rire). Je n'ai eu besoin de me protéger à aucun moment. Au contraire, j'avais envie de dépasser mes limites dans ce rôle. Quand je sentais une contrainte, j'avais envie d'y aller, de pousser le bouchon encore plus loin.
Même changer des couches à un multimillionnaire qui pleure comme un bébé ne faisait pas partie de vos limites?
De Kika, ou de moi?
Je ne vais pas préciser.
(Rire) Ce qui est beau dans cette scène, c'est que Kika franchit l'une de ses limites. Elles est certes d'accord d'insulter, de frapper, ou même de cracher sur demande, mais elle n'est pas d'accord avec la pénétration, ou avec le fait de rentrer dans un rapport sexuel plus classique. En franchissant une de ses limites de façon consciente, elle s'écroule. Un peu comme dans la vie, quand on rentre dans un jeu, plus on le pratique, plus on est capable de s'en emparer et d'aller loin. Jusqu'au point de non-retour.
Comment avez-vous intégré le rôle d'une travailleuse de sexe accédant à des demandes extrêmes? Ça ne doit pas être si simple, il faut savoir lâcher...
Ça a demandé énormément d'étapes, et beaucoup de travail. On a eu d'interminables discussions avec Alexe pour nourrir le personnage de Kika. J'ai passé du temps significatif avec les autres personnages du film pour réellement construire notre relation. J'ai aussi exploré la physicalité de Kika à travers les costumes. Et j'ai fait un stage dans un centre social de Bruxelles, afin de pouvoir restituer ce métier au plus juste.
Vous avez donc étudié sérieusement le thème?
A vrai dire, Alexe Poukine ne voulait pas que je me renseigne trop sur le travail du sexe.
Ce qui a été le cas; beaucoup de réactions de Kika sont en fait les miennes.
Il y a une triple couche dans le personnage de Kika. La maman, la «fouetteuse», l'assistante sociale... Pas facile de jongler avec ces divers chapitres de vie qui sont presque incompatibles!
Oui, mais une fois qu'on a intégré le personnage totalement, il reste le même, quelle que soit la situation. La vraie rencontre avec le personnage, c'est quand on se fond avec lui. C'est à ce moment que même nos inconscients commencent à se mélanger.
Vous n'aviez pas peur que le scénario banalise la détresse des travailleuses du sexe?
Non, je ne le pense pas, au contraire. Pour commencer, Alexe Poukine ne tombe jamais dans le piège de la généralisation; on parle d'un milieu précis, d'une ville précise. On ne peut pas appliquer la micro-situation du film à celle des prostituées du monde entier. Ensuite, Alexe Poukine ne voulait ni misérabiliser, ni rendre pop et fun la vie d'une travailleuse du sexe. Je trouve qu'elle a su garder une certaine complexité de la réalité. Un peu comme chaque être humain, les prostituées souffrent et vivent de beaux moments dans leur travail et dans leur vie.
Petite indiscrétion: vous frappiez vraiment les autres acteurs qui jouent les clients?
Chaque coup porté est faux. Il n'y a pas un seul coup de vrai, reçu ou donné, tout est extrêmement bien chorégraphié par des pros. On avait une coordinatrice d'intimité, une coordinatrice de cascade, ainsi qu'une référente de domination sur le plateau.
Une consultante en domination...
Oui, Une Domina, quoi. Pour que tout soit crédible.
Et elle a été très utile pour vous montrer les bons gestes?
La force du coup, par exemple, c'est la coordinatrice de cascade qui me disait comment faire. La Domina est plutôt intervenue pour expliquer les situations. Comme lors de la scène du «ball busting» (réd: on vous laisse aller cherche la définition exacte et scientifique, mais ça consiste à infliger de la douleur aux testicules).
En revanche, pour ce qui est du geste ou du bruit, c'est du côté de la conseillère en cascade.
Du coup, autre indiscrétion: avez-vous appris un mot de vocabulaire de cet univers du BDMS, et de ses pratiques?
J'ai dû chercher ce qu'était le «facesitting».
On va conclure sur ce nouveau mot de vocabulaire fort instructif. Quelle est la suite pour vous, Manon Clavel?
En 2026, je serai à l'affiche d'une histoire d'amour intitulée Promis, aux côtés de Sofian Khammes. Le film est réalisé par Hamé Bourokba et Marion Boyer. Kika m'a amené d'autres collaboration qui sont encore en gestation, et je continue à faire du théâtre.
Ce qu'on vous souhaite pour la suite?
Des scénarios risqués, et des rôles forts.
Kika sort dans les salles romandes le 5 novembre.
