Avec ses plus de 12 000 rivières, les eaux de l’État de l’Alaska aux Etats-Unis sont très importantes pour la grande diversité de faune et de flore qui s'y trouve. Cet écosystème riche du cercle polaire arctique a également une grande valeur sur un plan économique pour la pêche, le tourisme et les loisirs, mais également culturel pour les populations autochtones.
Selon une nouvelle étude publiée dans la revue Nature, des dizaines de ruisseaux et de rivières les plus isolées de l'Alaska prennent une couleur orange vif, potentiellement à cause des minéraux libérés par le dégel du permafrost. Près d'un quart de la surface terrestre est gelé en permanence. Appelés permafrost ou pergélisol, ces sols se trouvent dans les régions polaires du nord et en haute montagne. Il s’étend principalement au Groenland, au Canada, en Alaska et en Russie.
Des chercheurs de l'US Geological Survey et de l'Université de Californie ont documenté et échantillonné certaines de ces eaux altérées pour la première fois. Ils ont identifié 75 emplacements dans une zone de la taille du Texas, située dans la chaîne Brooks, au nord de l'Alaska.
Selon l'étude, le dégel du pergélisol libère des substances et des minéraux qui, lorsqu'ils sont exposés à l'eau et à l'oxygène, entraînent la libération d'acides et de métaux. Certains échantillons recueillis dans ces eaux altérées ont un pH de 2,3, comparativement au pH moyen de 8 pour ces rivières. Cela indique que les minéraux sulfurés s'altèrent et entrainent des conditions très acides et corrosives, ce qui libère des métaux supplémentaires. Des niveaux élevés de fer, de zinc, de nickel, de cuivre et de cadmium ont été mesurés.
Les rivières et ruisseaux devenus ferrugineux pourraient avoir des conséquences importantes sur l'eau potable et la pêche dans les bassins versants de l'Arctique à mesure que le climat change. En effet, ses cours d'eau couleur rouille peuvent être problématiques en termes de toxicité et empêcher potentiellement la migration des poissons vers les zones de frai où ils se reproduisent.
Des images satellites ont révélé que le phénomène des eaux orange remonte à 2008. Le problème s’aggrave d'année en année, affectant l’habitat, la qualité de l’eau ainsi que d’autres systèmes écologiques, transformant les zones saines en habitats dégradés avec moins de poissons et d’invertébrés.
La fonte du permafrost est un problème grave pour les rivières, mais également pour le climat. Autrefois prisonniers des glaces, les gaz à effet de serre s'en libèrent aujourd'hui. Le pergélisol contient quelque 1 700 milliards de tonnes de carbone organique, dont du méthane (CH4) et du dioxyde de carbone (CO2). C'est presque deux fois la quantité de carbone déjà présente dans l'atmosphère. Le méthane perdure 12 ans dans l'atmosphère, contre des siècles pour le dioxyde de carbone. Cependant, son effet de serre est 25 fois plus puissant que le CO2. Les scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ont déjà tiré la sonnette d'alarme sur la fonte du permafrost, la qualifiant de «bombe à retardement» pour le climat. Si tout le carbone congelé devait s'échapper du sol, cela triplerait quasiment la concentration de carbone dans l'atmosphère.
Si les émissions de CO2 ne sont pas réduites d'ici la fin du siècle, le pergélisol pourrait avoir «considérablement fondu» ont prévenu les experts du GIEC. Ce point de basculement climatique pourrait perturber définitivement l'ensemble du système planétaire.