«J'ai encore deux courgettes, une demi-aubergine, trois tomates et un peu de yaourt dans le frigo». Voici ce que je tape dans le champ de texte de ChatGPT. «As-tu une idée de ce que je pourrais cuisiner avec? Quelque chose d'asiatique, peut-être?» Moins de deux secondes plus tard, ChatGPT me propose une recette de curry asiatique de légumes et de lentilles avec une sauce au yaourt. Comme expliqué pas à pas dans un livre de cuisine normal. Ça a l'air délicieux, malheureusement il me manque le gingembre.
Je demande donc: «Je n'ai pas de gingembre. Comment pourrais-je le remplacer»?
Réponse: «La combinaison de l'ail et du zeste de citron peut offrir une fraîcheur et un piquant similaires à celui du gingembre. Utilisez deux grosses gousses d'ail et ajoutez le zeste râpé d'un demi-citron». Merci du conseil!
Bien qu'il n'y ait pas besoin de dire merci pour que la recette soit bonne. ChatGPT ne le fait pas par bonne volonté, mais parce que le chatbot a été créé pour générer des réponses aussi plausibles que possible aux questions. Pour cela, il a été entraîné avec des millions et des millions de textes - dont des recettes, si nombreuses qu'elles permettraient de cuisiner pour une équipe de foot pendant 100 ans sans que le même plat ne soit servi une seule fois sur la table.
Comme les recettes sont nombreuses sur Internet, elles se prêtent particulièrement bien à être complétées, élargies et réinterprétées par l'intelligence artificielle (IA). S'il y a 30 ans, les cahiers Betty Bossi étaient les premiers endroits où l'on cherchait des conseils et de l'inspiration pour cuisiner, aujourd'hui, outre les vidéos de TikTok, de plus en plus de personnes se tournent vers ChatGPT. La prochaine étape de la révolution des fourneaux est d'ailleurs déjà prévisible: des vidéos de cuisine générées par l'intelligence artificielle sur TikTok.
Mais revenons au présent. ChatGPT, lancé sur Internet il y a à peine un an et demi par la société OpenAI, se prête si bien à la cuisine qu'il existe déjà un livre intitulé Cuisinez avec ChatGPT. La cuisine étoilée est à la portée de tous. L'IA et la cuisine s'harmonisent.
Si bien que la maison d'édition Burda, une sorte de Betty Bossi allemand, n'a pas pu résister. En septembre dernier, elle a publié le livre 99 recettes de pâtes. Sauf que celles-ci ont été créées en grande partie par l'IA sans que ce soit dit clairement. Le Süddeutsche Zeitung, qui a rendu le scandale public, a titré L'IA en sauce. En fait, ce qui est génial avec l'IA, c'est que l'on n'a plus besoin de 99 recettes de pâtes, on peut toujours en générer de nouvelles adaptées à ses propres besoins.
Mais ChatGPT sait aussi combien de temps il faut mettre le rôti au four dépendant de son poids, quel mode faut-il utiliser pour cuir ses crèmes brûlées et comment le temps de cuisson des fusilli varie selon l'altitude au-dessus de la mer pour qu'elles soient al dente. Des connaissances culinaires intelligentes.
Nick Holzherr a peut-être été la première personne à chercher de l'aide auprès de l'IA pour cuisiner. Il a passé les premières années de sa vie en Suisse. Lorsqu'il avait 7 ans, ses parents ont déménagé en Angleterre. Et lorsqu'il est parti pour étudier, sa mère, qui faisait régulièrement la cuisine pour la famille, lui a manqué. «C'est là que j'ai réalisé tout ce qu'il fallait faire pour cuisiner: trouver la bonne recette, faire les bons achats, planifier correctement», raconte le jeune homme de 34 ans dans un allemand grison teinté de britannique.
Il n'a pas investi son argent dans un livre de cuisine ni dans des cours de cuisine. Au lieu de cela, il s'est envolé pour les Etats-Unis, a acheté autant de cartes graphiques de jeu (les puces informatiques les plus puissantes) qu'il pouvait se le permettre et a fondé la start-up Whisk. Il a utilisé la puissance de l'IA qu'il avait bricolée pour simplifier la cuisine et créer des listes de courses. C'était en 2012 - bien avant le succès de ChatGPT. Nick Holzherr s'est fait connaître dans toute le Royaume-Uni lorsqu'il a participé à l'émission The Apprentice sur la BBC, dans laquelle des entrepreneurs se disputent des fonds d'investisseurs.
Nick Holzherr n'a pas gagné, mais trois grandes entreprises technologiques se sont rapidement disputé son équipe et lui. En 2019, il a dit oui à Samsung et dirige désormais la division Samsung Food. Les 30 collaborateurs sont rapidement devenus 120.
L'application, qui s'appelle désormais Samsung Food, a également évolué. Une fonction particulière est le sous-chef IA. Sur demande, il fait des suggestions sur la manière d'adapter les recettes. Que diriez-vous par exemple de donner à l'émincé de veau zurichois une touche mexicaine? En un clic, l'application propose une nouvelle recette: à la place des champignons, du maïs et des haricots rouges, du sel, du poivre, un mélange d'épices mexicaines et des tortillas de maïs à la place des röstis. Vous le savez sans le savoir, c'est ce qu'on appelle la «cuisine fusion».
Sans l'envie d'expérimenter de nouvelles choses aux fourneaux, nous serions encore en train de grignoter des gigots de mammouth. Mais l'IA ne tue-t-elle pas l'envie d'expérimenter? «Pas du tout», estime Nick Holzherr, «elle inspire bien plus et favorise la créativité». Lorsqu'il passe trois soirs aux fourneaux, il cuisine en moyenne deux fois à main levée, sans application et se laisse guider une fois pour essayer quelque chose de nouveau, souvent le week-end, quand il a du temps. Il cuisine cinq à sept fois par semaine. Sa recette préférée? Le saltimbocca, volontiers avec une touche mexicaine.
Mais il y a longtemps que Nick Holzherr ne se préoccupe plus uniquement de son propre plaisir gustatif. Il a en tête le bien-être global.
Quantité de sucre, teneur en sel, protéines, calories, l'IA peut calculer tout cela pour chaque recette et contribuer ainsi peut-être à ce que nous cuisinions autre chose ou demandions à l'IA une version plus saine de la recette.
Et si Nick Holzherr doit encore sauver de la poubelle biologique une demi-aubergine, deux courgettes et quelques tomates écrasées? Il n'a alors pas besoin de demander conseil à ChatGPT. Son réfrigérateur intelligent est déjà au courant - des caméras à l'intérieur tiennent un registre des stocks de nourriture. Et l'IA a quelques bonnes idées pour en faire un délicieux dîner. Peut-être avec une touche coréenne ou une touche mexicaine? Tout est possible. (aargauerzeitung.ch)
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)