Rififi en vue dans le petit monde feutré du luxe mondial. Pendant que les aficionados et les fidèles de Donatella commencent tout juste à sécher leurs larmes, suite à la nouvelle de son départ en tant que directrice artistique après presque 30 ans de bons et loyaux services, d'autres initiés montent déjà au créneau pour décrier la manière dont la créatrice iconique aurait été «écartée».
Au fond, rien de très étonnant. Voilà des mois que les spécialistes de l'industrie se font l'écho de désaccords et de litiges au sein de la société, dans un contexte de difficultés financières et de chute de la demande mondiale de produits de luxe.
Pour comprendre ces rumeurs de conflits, il faut remonter à 2018. Lorsque Donatella, à la tête de l'entreprise familiale depuis le meurtre de son frère bien-aimé Gianni, conclut un hallucinant contrat de vente de plus de 2 milliards de dollars avec John D. Idol, patron du géant du luxe «Capri Holdings».
Voilà des mois que ce puissant homme d'affaires américain lorgne sur la marque à la méduse. Lui qui a fait de Michael Kors une marque à l'envergure mondiale ambitionne de faire de Versace, à l'époque déjà l'une des maisons de mode les plus célèbres et les plus désirables du monde, le joyau de sa collection. La pièce maîtresse qui lui permettra de se hisser au niveau des grands groupes rivaux européens, comme LVMH ou Kering.
Alors qu'il promet aux investisseurs monts, merveilles et un doublement du chiffre d'affaires de la maison, Donatella Versace, elle, place également de «grands espoirs» dans ce partenariat et la garantie de maintenir l'héritage familial.
Mais en coulisses, le conte de fées tourne vite au désenchantement. Deux ans après la conclusion de l'accord, Emmanuel Gintzburger est nommé PDG de Versace et doté de la délicate mission de dynamiser l'entreprise à l'échelle mondiale, ce qu'il avait très bien su faire chez Saint Laurent et Alexander McQueen.
Sauf que le «goût exceptionnel» et l'«expertise du luxe» d'Emmanuel Gintzburger ne suffisent pas à lui épargner de multiples difficultés: à commencer par la pandémie de Covid-19, un coup dur pour l'ensemble du groupe et qui fait chuter drastiquement ses ventes de 70% au premier trimestre de 2021.
Puis c'est à l'inévitable succession du pilier de la marque qu'est confronté le PDG: Donatella. Comme le rappelait le média Puck News en décembre dernier, la designer de renommée mondiale, qui connaît la marque mieux que quiconque, a signé un contrat de cinq ans lors de la vente de l'entreprise. Mais Versace a besoin d'un plan de succession qui aille au-delà.
Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal. Et si Donatella n'a aucun problème à aborder le sujet de «l'après» (c'est elle qui aurait posé le nom de son successeur annoncé, Dario Vitale, sur la table), elle acquiert peu à peu la conviction d'être «délibérément poussée dehors», selon des sources bien renseignées de l'industrie.
En effet, les divergences artistiques avec le directeur général de la société, John Idol, vont croissant. Après la pandémie, le PDG souhaite séduire un public plus large en misant à fond sur la carte du «quite luxury» tellement en vogue.
Selon le Wall Street Journal, il enjoint donc la créatrice artistique à «adoucir» ses looks signature, y aller mollo sur l'imprimé léopard et miser sur l'élégance plutôt que sur le côté« tape-à-l'oeil» qui a toujours fait le succès de la maison italienne.
Bon gré mal gré, pourtant, Donatella se plie aux désirs du patron. Lors du défilé automne-hiver 2021, un nouveau look Versace est donc dévoilé, tout en tons noirs et marron. La critique se révèle lapidaire: «On ne vient pas chez Versace pour porter du marron», s'insurge la presse spécialisée. «Dès le premier jour, il est évident que [Capri] a voulu lui couper les ailes», crache un initié de la mode basé à New York auprès de Page Six.
Bien que Donatella «sera toujours l'ADN de la marque» et que «les gens l'adorent», la réalité est qu'il devait y avoir un plan de succession, conclut une source. Et le résultat est le même. En vertu du contrat qu'elle a signé lors de la vente de Versace, la créatrice à la chevelure platine et à la patte si reconnaissable n'est plus autorisée à utiliser son nom de famille pour toute autre marque qu'elle pourrait lancer.
Quant à la maison de couture cultissime fondée par Gianni Versace en 1978, c'est entre les mains du groupe Prada qu'elle pourrait passer prochainement, redevenant ainsi une propriété italienne.
Preuve de cet intérêt, le PDG du groupe, Andrea Guerra, s'est envolé pour New York plus tôt la semaine passée, selon un informateur à l'agence Reuters. Un mal pour un bien? Ce n'est plus tellement du ressort de la famille fondatrice. Affaire à suivre.