«Quand on pense qu'il y aura autant de monde, c'est vrai que ça fait bizarre.» Au bout du fil, Christophe, abonné au Servette FC depuis qu'il est «en âge de payer» (c'est-à-dire depuis 15 ans), a de la peine à «comprendre l'engouement que suscite l'affiche, surtout en plein été, une période durant laquelle les affluences sont plutôt faibles.»
Ce sera donc tout le contraire mardi soir, puisqu'ils seront plus de 16 000 à garnir la Praille pour le 2e tour qualificatif de la Ligue des champions face au KRC Genk, ce vice-champion de Belgique dont la plupart des supporters grenat ignorent tout et seraient incapables de situer sur une carte.
Les Servettiens renouent avec bonheur aux joies de la C1 et ça leur avait manqué. La dernière soirée européenne à ce niveau remonte au 25 août 1999 et à l'époque, c'est aux Charmilles que les Grenats avaient reçu Sturm Graz.
Cette longue absence (24 ans) explique en partie l'enthousiasme que suscite le match face à Genk et qui dépasse de très loin celui de 1999. «16'000 spectateurs en plein mois de juillet, je n'ai pas le souvenir d'avoir vécu un tel engouement à Genève», remarque Laurent Ducret, journaliste à Keystone-ATS et spécialiste du football genevois.
«La grande différence, ce sont les réseaux sociaux, poursuit-il. L'excitation autour d'un match s'auto-alimente à une vitesse folle, avec des centaines d'interactions.» «Dans le secteur de la communication, le SFC possède une équipe très forte, ajoute Sacha Roulin, fondateur de Servettiens.ch. Loïc Luscher en tête, ces gens savent parfaitement comment attirer de jeunes spectateurs au stade et flatter leurs instincts.»
Sacha Roulin sait aussi que ce succès populaire récompense la «communication très maline du club», dont il décrypte le savant mécanisme:
C'est ainsi qu'un match devient un grand match, et qu'un grand match se transforme en évènement incontournable («the place to be», comme on dit chez Rolex). «Dans mon travail, je suis le seul à suivre Servette. On me parle pourtant de ce rendez-vous contre Genk depuis plusieurs jours», rapporte Christophe.
Ce supporter ne paiera rien pour entrer au stade, puisque les deux premiers matchs européens du SFC sont inclus dans le prix de l'abonnement. Une mesure qui, couplée aux tarifs raisonnables proposés au grand public (40 francs en tribune latérale par exemple), participe à l'élan populaire né autour d'une affiche, mais surtout d'un club qui travaille très bien depuis plusieurs saisons.
Pour expliquer la hype autour du club grenat, Laurent Ducret exclut «l'effet René Weiler». «J'ai rarement vu un entraîneur donner une première conférence de presse aussi creuse. Et pourtant, on ne peut pas dire qu'il n'a pas eu le temps de se préparer (réd: Weiler a été nommé en mars).» Selon le journaliste, c'est dans l'espoir de ressembler au meilleur que le SFC nourrit son mythe. «Les Servettiens se disent que si YB a pu évoluer autant ces dernières années, ils le peuvent aussi.»
Si Laurent Ducret cite Young Boys, Christophe, lui, préfère convoquer le souvenir glorieux de Bâle. «Quand l'engouement a réellement pris autour du FCB au début des années 2000, c'était aussi grâce à des tours qualificatifs de Ligue des champions. Est-ce que Servette (réd: qui défiera les Rangers de Glasgow s'il se qualifie pour le tour suivant) peut profiter de ce type d'engouement, et de sa belle 2e place l'an passé, pour fidéliser de nouveaux supporters et partenaires?»
Les supporters opportunistes de la semaine deviendraient alors les fidèles du week-end. «On ne peut pas nier que ce match contre Genk attire aussi un public opportuniste, ou disons, occasionnel, reconnaît Sacha Roulin. Le mot magique, c'est «Ligue des champions». Le Genevois, historiquement, voit grand.»
Ça ferait 7000, soit l'affluence du hockey aux Vernets, antre du tout frais champion de Suisse. «Mais pour les purs et durs du Servette, le hockey reste un monde à part et un succès... embêtant, ose Sacha Roullin. C'est autant d'argent et de spectateurs qui, potentiellement, échappent au football. Je vous le dis tout net parce que je ne suis pas à un ennemi près: le Genève-Servette Hockey Club ne vit pas au bon endroit, au bon moment. Je préférerais qu'il s'exile dans le canton de Vaud!»