Mike Tyson va remonter sur un ring dans la nuit de vendredi à samedi, et ce, près de deux décennies après son dernier combat professionnel. Si les dés ne sont pas pipés, il mettra une raclée à Jake Paul. Comment pourrait-il en être autrement face à un boxeur de pacotille, star des réseaux sociaux? Comment un influenceur pourrait-il vaincre l'homme le plus méchant du monde?
J'étais enfant dans les années 80 et ne me souciait guère du noble art. Mais Mike Tyson, c'était LE grand numéro de la boxe. Personne n'incarnait mieux que lui la rage ardente et la violence brute. Un regard agressif, des dents en or, des muscles d'acier: c'était une machine en chair et en os. Il faisait presque peur. Surtout qu'il était dirigé par Don King, ce personnage à la coiffure électrique et au passé sulfureux, ayant travaillé auparavant dans les paris illégaux et fait de la prison pour homicide.
Nous ne le savions pas vraiment à l'époque. Mais les images ont un certain pouvoir. Nous étions en fait impressionnés. Nous vouions un respect infini à Mike Tyson. Ou plutôt, «Iron Mike»! Rien que ce nom. Un boxeur en fer. Le mal personnifié. Nous avons été marqués par ce que nous avons appris de Tyson dans les journaux, les magazines et les reportages télévisés.
Ceux qui devaient l'affronter devaient songer à écrire leur testament avant de monter sur le ring. Cinq comprimés d'imodium pouvaient aussi ne pas suffire à garder le short propre, lorsque Tyson se présentait devant eux, et les fixait avec sa haine et son mépris.
Mike Tyson était l'incarnation du champion. Un homme transformant chaque défi en sacrifice. «Quand je me bats contre quelqu'un, je veux briser sa volonté. Je veux lui prendre sa virilité. Je veux lui arracher le cœur et le lui montrer», a-t-il un jour déclaré.
Le boxeur partait pourtant de très loin. Le sommet paraissait même inatteignable quand enfant, la police l'avait déjà arrêté des dizaines de fois pour des vols et des agressions. A 12 ans, le bad boy du rude quartier de Brooklyn a été envoyé à la campagne, dans une école accueillant les enfants difficiles. La bête devait être apprivoisée.
C'est ce qui a sauvé Mike Tyson. Lorsqu'il a pris du galon à l'école, il a été autorisé à suivre les entraînements de boxe. Son entraîneur est devenu son père de substitution. Il a accueilli Tyson chez lui et est devenu son tuteur lorsque sa mère est décédée d'un cancer.
«Kid Dynamite» avait désormais tout pour faire une carrière mondiale. Il est devenu professionnel à l'âge de 18 ans. Et comme auparavant chez les amateurs, Tyson a cloué tous ses adversaires au sol. Il les envoyait au tapis à tour de rôle et gagnait souvent par KO dès la première reprise. Mike Tyson avait 20 ans et 144 jours lorsqu'il est devenu le plus jeune champion du monde des poids lourds de l'histoire. Le détenteur du titre, Trevor Berbick, a tout de même réussi à atteindre le deuxième round avant que l'Américain n'éteigne la lumière.
Tout cela, nous l'avons appris de manière plutôt marginale dans notre Suisse lointaine. Ce que nous savions, c'est qu'il existait loin en Amérique une bête qui n'avait peur de rien ni de personne. Elle abattait tous ceux qui se trouvaient sur son chemin. A chaque victoire, la fascination pour «Iron Mike» grandissait. Et elle n'a pas diminué lorsque, le 10 février 1990, l'une des plus grandes sensations de l'histoire du sport s'est produite. L'outsider James «Buster» Douglas a infligé à Tyson sa première défaite chez les professionnels.
Après 37 combats et 37 victoires (dont 33 par KO), l'invincibilité a soudain disparu. Et Tyson lui aussi. C'est en prison qu'il est allé, condamné six ans pour viol. Malgré la sentence, la question de savoir si l'on peut admirer un héros ayant commis de tels agissements ne s'est pas posée pour de nombreux fans.
Alors que l'on parlait autrefois d'une domination «éternelle» sur le ring, celle-ci a pris fin brusquement. Mais pour Mike Tyson, il n'était pas question d'arrêter et son retour a bel et bien eu lieu, ce qui a permis à ceux trop jeunes pour assister aux combats de Mohamed Ali de vivre un duel que la boxe n'oubliera jamais. Tyson venait de redevenir champion du monde, mais avait perdu son titre au profit d'Evander Holyfield. Ce dernier ne l'a pas mis KO, car l'arbitre a protégé le désespéré Tyson au 11ème round et a arrêté le combat.
La revanche a eu lieu le 28 juin 1997. Et si tout le monde s'en souvient, ce n'est pas pour l'aspect sportif, mais bien parce que Mike Tyson a mordu, et pas qu'un peu, l'oreille d'Evander Holyfield, allant jusqu'à lui en arracher un morceau.
C'est la première chose que j'ai regardée lorsque j'ai rencontré Evander Holyfield quelques années plus tard pour une interview. Lorsque Tyson a commencé à mordre, ce n’était pas seulement un événement dramatique et sans précédent.
Mike Tyson a ensuite dit adieu à la boxe. Il a néanmoins régulièrement fait la Une des journaux, presque toujours de manière négative. Le voyou de la rue, devenue une icône du sport, était désormais un homme rongé par des crises personnelles.
En 2009, une apparition au cinéma a marqué un nouveau tournant dans sa carrière et lui a permis de retrouver une nouvelle popularité. Tyson, qui arbore désormais un tatouage caractéristique sur le visage, a fait rire le public avec son rôle plein d'autodérision dans le film culte Very Bad Trip.
Alors qui sait, peut-être que l'homme le plus méchant du monde n'est pas si mauvais après tout. Peut-être même qu'il jouait un rôle toutes ces années, histoire de devenir un véritable showman sur le ring. Quoi qu'il en soit, j'espère que la bête, même apprivoisée, aura encore assez de mordant pour montrer à un influenceur qui est le patron sur le ring.