Le communiqué de presse démarre par un défilé de noms qui ont fait vibrer le ski suisse: Bernhard Russi, Marie Thérèse Nadig, Roland Collombin, Erika Hess, Pirmin Zurbriggen, Vreni Schneider, Didier Défago, Didier Cuche, Lara Gut-Behrami et Marco Odermatt. Une profusion de championnes et de champions, s'appropriant une place dans l'imaginaire collectif des Suisses.
Ce sont eux qui ont donné au ski ses lettres de noblesse et participent à véhiculer son image de sport national. Mais ils ne sont pas les seuls, puisque les premières descentes chronométrées ont été créées dans les années 1920 déjà. Et même avant ça, des pionniers ont contribué au rayonnement de la discipline.
Le ski en Suisse, une Histoire est l'un de ces beaux livres qui aura une caisse de résonance auprès des jeunes et des moins jeunes. Coordonné à six mains et écrit par 24 contributeurs, l'ouvrage est signé par Grégory Quin, Laurent Tissot et Jean-Philippe Leresche, préfacé par le slalomeur Daniel Yule. Ce n'est pas moins de 130 ans d'histoire et une ribambelle d'images qui sont retracés dans cette œuvre.
L'éditeur Emmanuel Vandelle, directeur des Editions Château & Attinger, qualifie l'objet de «monographie synthétique du ski en Suisse; à travers les stations, des textes, des images de qualité».
«C'est un travail étalé sur deux ans», confie Grégory Quin. Outre la compétition, c'est une percée dans les souvenirs, des réminiscences d'exploits et de grandes compétitions qui ont forgé cette réputation de pays «roi du ski» sous toutes ses formes.
D'autres figures ont émergé et ont définitivement ancré la glisse hivernale dans le sport suisse. Les Simon Ammann, Dario Cologna ou encore Walter Steiner sont aussi inscrits au panthéon des stars du ski helvétique.
En compilant les souvenirs, le trio d'auteurs nous rappelle que le plus vieux ski-club a vu le jour à Glaris, en 1893, un canton qui s'est rapidement industrialisé. C'est un livre qui révèle le patrimoine national à travers ce sport; un carrefour pour cerner la configuration d'une Suisse moderne.
«Dans les années 1980, 80 à 90% des Suisses pratiquent (ou ont pratiqué) le ski. Le ski atteint alors une vraie démocratisation. On appréciait et on s’identifiait alors aux champions "ski au pied". C'est devenu un sport national par identification», renseigne le maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne.
Il est si ancré que Grégory Quin tente un parallèle entre deux stars de notre nation:
Et si le ski possède ses galons de sport national, c'est aussi par son empreinte dans notre économie. «On pense que les banques ont sauvé la Suisse, mais le tourisme est cardinal pour notre pays et le ski l'a sauvé», éclaire Laurent Tissot, professeur émérite de l'Université de Neuchâtel.
Les 288 pages illustrent cette affirmation et le tourisme y occupe une place toute particulière. Bien que la Suisse ait été influencée par des pays étrangers, comme la contribution britannique aux premiers développements des sports d'hiver, elle est pleinement imprégnée par cette culture des sports de neige et continue d'en être nourrie au fil des ans.
Mais pourquoi autant d'années pour découvrir un livre digne de ce nom sur la discipline? «Cette attente est liée à l'incapacité des Suisses à avouer que le sport est central en Suisse. Mais il y a des livres, des films qui existent, mais éparpillés sur des périodes définies», indique Laurent Tissot.
Il aura fallu attendre octobre 2023 pour voir la naissance d'un musée du ski, au Boéchet (JU). Tout simplement le premier en Suisse sur ce thème. Une carence comblée qui redore quelque peu le blason d'un sport fédérateur, certes, mais «le ski peine à être reconnu académiquement», indique Grégory Quin.
Le ski est perçu comme une activité de loisirs et non comme un réceptacle historique. «L'histoire du ski est accessible, les archives sont riches et ont survécu aux guerres», complète le professeur de l'Université de Lausanne.
Et les histoires sont dignes des plus beaux récits, comme cette légende qui évoque des militaires nichés dans une vallée lors de la Première Guerre, abandonnant leur matériel après avoir décampé. Les habitants du coin ont profité pour chausser les lattes délaissées. Le ski s'est ensuite imposé à toutes les strates de la société. «Chaque canton, dans les années 70, possédait un téléski en fonction», assure le maître d'enseignement lausannois.
«Nous souhaitions montrer avec ce livre un hybride entre le sport individuel et collectif», confie Jean-Philippe Leresche. «Le ski nous renseigne aussi sur notre société, comme aujourd'hui, avec l'entame d'un chapitre environnemental au début des années 2000.»
Un beau morceau littéraire, disséqué en trois parties, où tout y passe, où l'histoire du ski est, par une périlleuse recherche, fêtée et documentée dans un livre de référence pour dessiner une arabesque singulière du ski en Suisse et de ses enjeux environnementaux actuels; à force de canons et neige artificielle, arrachant à l’intouchable Nature ses pudeurs sacrées. Mais le ski perdurera à l'avenir.