«Les vélos, c'est une sale race.» Voilà le mot, un brin généralisateur, d'une connaissance. Qui n'a rien contre l'idée de sport ou de mobilité douce, mais qui n'en peut plus de l'attitude de certains cyclistes. Prise de risques, monopolisation de la route ou encore trajet de deux coureurs côte à côte, les griefs se multiplient. La guerre est déclarée. A la montagne comme à la ville.
Et ce n'est pas seulement avec les automobilistes que ça chauffe... Entre les piétons et les cyclistes, ce n'est pas non plus la joie partout. Prenons le cas de Neuchâtel, tiens. Au centre-ville, depuis le mois d'août dernier, se déplacer à vélo dans la zone piétonne est répréhensible, à part dans deux artères principales. Le motif? Les (trop) nombreux cyclistes, qui ne roulent pas tous au pas, dérangent les piétons.
Cette interprétation littérale du concept de zone piétonne ne fait pas que des heureux. A commencer, évidemment, par nos amis les cyclistes. Parmi eux, Christophe Jaccard. L'habitué de la vieille ville à vélo a lancé une pétition demandant à la municipalité d'annuler cette mesure, pour privilégier une approche de sensibilisation aux vélos afin qu'ils fassent attention aux vélos. Dans des villes comme Winterthur, la cohabitation entre bicyclettes et piétons se déroule plutôt bien, selon la RTS. Là-bas, des officiers demandent gentiment aux cyclistes les plus pressés de modérer leur vitesse, sans les menacer d'une amende.
Le retournement de situation est quand même drôle. «Davantage de vélos!» clamait-on il y a dix ans. «Moins de vélos!» semble-t-on clamer maintenant. Parce que oui, il faut le reconnaître, quelques deux-roues en plus dans la cité, et c'est déjà la galère pour les piétons. Le vélo peut se transformer en menace pour les honnêtes hommes à pied. Et on est tous à un moment donné un honnête homme à pied (on ne peut pas en dire de même pour le fait d’enfourcher un vélo).
Les piétons des rues pavées, croit-on découvrir, ne supportent pas de ne point être maîtres chez eux, d'entendre ces «gling-gling» enfantins et de se faire dépasser par un péquenaud de cycliste en freinage d'urgence devant l'entrée de la Migros. La vérité, c'est que nous sommes tous pour plus de facilité et que cela fait de nous des gens difficiles. Qu'on soit cycliste («Ma liberté!») ou piéton («Ma sécurité!»).
Ce nouvel enjeu socio-urbanistique s'inscrit dans un contexte trivial: l'aménagement des villes et de la circulation est par essence un casse-tête chinois. La cohabitation entre différents moyens de transport souffre de la forte démographie et de la mobilité très développée que nous connaissons actuellement en Suisse et dans le monde. Il y a de plus en plus d'êtres humains et de moins en moins d'espace.
Mais comme ce n'est jamais assez compliqué, nos sociétés ont voulu être non seulement efficaces, mais aussi vertueuses. Le cas des 30 km/h est édifiant: n'étant plus certains qu'on pollue moins une fois cette mesure appliquée, car une étude a démontré l'inverse, les avocats du 30 km/h martèlent à présent qu'il s'agit de réduire le bruit des routes, notamment la nuit, et donc de protéger la santé de la population.
Le vélo, c'est pareil. C'est bon pour le corps et bon pour aller au paradis. Oui, mais encourager à tout-va la mobilité douce alors qu'il n'y a pas partout des pistes cyclables, cela peut créer des dégâts. Et surtout, il y a de la flemmardise pathétique qui s'ajoute à l'effet de mode. Prendre sa bicyclette pour se rendre à la pharmacie d'en face constitue le comble du ridicule.
Quoique... Avec les trottinettes électriques, on passe encore au stade supérieur: voilà arrivés des machins qui ne font pas de bruit, conduits par des trentenaires munis d'écouteurs intra-auriculaires. Chassez les voitures des villes, leurs nuisibles cousines reviennent au galop!