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La Suisse a dû payer une lourde amende après le 8 mai 1945

Drapeau suisse sur une capture d'un journal du 8 mai 1945 annonçant la fin de la guerre.
Image: watson

Pourquoi la Suisse a dû payer une lourde amende après la défaite nazie

La capitulation de l'Allemagne nazie a mis fin à des années d'angoisse en Suisse. Les puissances victorieuses portèrent un regard critique sur la neutralité helvétique durant le conflit, forçant le Conseil fédéral à repositionner le pays dans un nouvel ordre mondial.
08.05.2025, 11:5308.05.2025, 12:03
Christoph Bernet / ch media
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C’est avec une voix empreinte d'émotions que le président de la Confédération, Eduard von Steiger, s'adressa au peuple suisse dans un message radiodiffusé le 8 mai 1945. La veille, la Wehrmacht allemande avait signé la capitulation sans conditions.

Le soir du 8 mai 1945, la population zurichoise célèbre la fin de la Seconde Guerre mondiale. En arrière-plan, l'église Fraumünster.
Le soir du 8 mai 1945, la population zurichoise célèbre la fin de la Seconde Guerre mondiale. En arrière-plan, l'église Fraumünster.image: Str/Photopress-Archives

Il y a 80 ans jour pour jour, la Seconde Guerre mondiale prenait fin en Europe et le nazisme entrait dans l'histoire. Cinquante millions de personnes avaient perdu la vie dans ce conflit, jusqu'à sa fin définitive avec la capitulation du Japon en septembre 1945. Six millions de Juifs avaient été assassinés durant la Shoah. Des villes entières étaient réduites en ruines.

La Suisse, entièrement encerclée par les puissances de l'Axe après la défaite de la France en juin 1940, avait traversé les années de guerre sans trop de heurts. Hormis quelques bombes larguées par erreur par les Alliés sur son territoire, elle n'avait subi aucun dommage majeur.

Le président de la Confédération, von Steiger, évoqua à la radio le «bonheur immérité d'avoir été épargnés par la guerre». Il déclara que la Suisse souhaitait désormais être un exemple, montrant que «même un petit pays peut aider et faire preuve de générosité».

Une population euphorique

«La population suisse a réagi avec euphorie à l'annonce de la fin de la guerre», explique le professeur Sacha Zala de l'Université de Berne. La fin du conflit soulagea la population d'un immense fardeau psychologique. Des scènes de liesse spontanées ont éclaté, les gens ont déserté leur travail, les cours ont été suspendus.

Sacha Zala, Professeur historien et President de la societe Suisse d'histoire (SSH) s'exprime lors d'une conference de presse pour le lancement d'un projet pilote portant sur l&#03 ...
Le professeur Sacha ZalaImage: KEYSTONE

Même si la guerre n'a pas atteint le territoire suisse, sa population a vécu dans un état d'urgence depuis le début du conflit en 1939, souligne Sacha Zala, directeur du centre de recherche Dodis sur l'histoire des relations extérieures de la Suisse:

«La mobilisation de l'armée, le rationnement des denrées alimentaires et d'autres restrictions ont représenté un fardeau considérable»
Le professeur Sacha Zala

Un Conseil fédéral attaché à ses pleins pouvoirs

Durant les années de guerre, le Conseil fédéral a largement gouverné seul, fort de pouvoirs étendus. Une fois la paix revenue, il s'est montré peu enclin à y renoncer de lui-même. Ce n'est qu’en 1949, sous la pression d'une initiative populaire acceptée contre la volonté du gouvernement et du Parlement, que le régime des pleins pouvoirs a pris fin.

Ce n'est pas la seule raison pour laquelle l'Etat d'urgence a perduré au-delà de la fin de la guerre. La fin de la mobilisation de l'armée n'a eu lieu que le 19 août 1945, marquée par un grand défilé à Berne. Quant au rationnement des denrées alimentaires, il n'a été levé qu’en 1948.

Les fonctionnaires allemands priés de partir

Avec la fin de la guerre, le Conseil fédéral a dû faire face à une série de questions pratiques, telles que la gestion des fonctionnaires consulaires du Grand Reich allemand, qui résidaient en Suisse. On leur a ordonné de quitter le pays dans les trois jours, mais des concessions ont été faites «en ce qui concerne l'utilisation des cartes de rationnement en leur possession» (procès-verbal du Conseil fédéral du 8 mai 1945).

A Zurich, un homme regarde une affiche appelant au «don suisse» en faveur des personnes souffrant des conséquences de la guerre.
A Zurich, un homme regarde une affiche appelant au «don suisse» en faveur des personnes souffrant des conséquences de la guerre.image: Str/Photopress-Archives (8.5.1945)

La Suisse s'est montrée solidaire en accueillant et en facilitant le transit des prisonniers de guerre, des déportés et des détenus des camps de concentration – bien que sous certaines conditions. Par exemple, l'armée française exigeait que les personnes concernées soient désinfectées avant de traverser le pays.

L'intérêt moral justifiait l'accueil des enfants du camp de concentration de Buchenwald, a noté un haut fonctionnaire à la fin mai 1945, «même si cela comportait le risque que, dans six mois ou un an, nous rencontrions des difficultés pour nous séparer de certains d'entre eux».

Une coûteuse amende

Avec la fin de la guerre en Europe, les contours d'un nouvel ordre mondial commençaient à se dessiner. La Suisse se trouvait dans une situation délicate.

«Les pays neutres étaient considérés comme des Etats voyous à la fin de la guerre et apparaissaient comme des profiteurs de la guerre»
Le professeur Sacha Zala

En particulier, les relations avec les deux principales puissances victorieuses, les Etats-Unis et l'Union soviétique, étaient tendues.

Dans une évaluation détaillée de la situation, le ministre des Affaires étrangères, Max Petitpierre, esquissa le 23 mai les difficultés auxquelles la Suisse neutre serait confrontée dans le nouvel ordre mondial. Il souligna les «divergences fondamentales» entre les objectifs de guerre des Alliés occidentaux et ceux de l'Union soviétique, qui déboucheraient peu après sur la guerre froide. Si la Suisse voulait renforcer sa position internationale, elle ne devait «négliger aucun moyen pour justifier sa politique de neutralité», affirma Max Petitpierre.

Le conseiller fédéral et ministre des Affaires étrangères Max Petitpierre en 1950 dans son bureau au Palais fédéral à Berne.
Le conseiller fédéral et ministre des Affaires étrangères Max Petitpierre en 1950 dans son bureau au Palais fédéral à Berne. image: Str/Photopress-Archives

Cependant, cela s'avéra être une tâche difficile. Les Américains étaient furieux de l'ampleur des relations économiques avec le régime nazi. En janvier 1945, le président américain Roosevelt avait exigé dans une lettre adressée au président de la Confédération von Steiger l'arrêt immédiat de la coopération économique avec le Reich.

Après la fin de la guerre, les Etats-Unis exigèrent que la Suisse libère les avoirs allemands déposés dans les banques suisses au profit des Alliés, comme compensation pour les coûts de guerre. La place financière suisse résista de toutes ses forces et la Confédération entra dans les négociations en affirmant que sa souveraineté et ses convictions juridiques étaient «non négociables». Cela s'avéra être une illusion. En mars 1946, la Suisse s'engagea, par l'accord de Washington, à verser 250 millions de francs aux Alliés.

Un Staline mécontent

Avec l'Union soviétique, la Suisse n'entretenait aucune relation officielle depuis sa création. En 1934, la Suisse fut l'un des trois seuls Etats à s'opposer à l'admission de l'Union soviétique dans la Société des Nations. Le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Giuseppe Motta, prononça un discours virulent contre le communisme. Le professeur Sacha Zala qualifie cela de «folie en matière de politique étrangère, qui a durablement irrité Staline».

Devant une petite église du canton d'Argovie, des soldats écoutent la sonnerie des cloches qui retentit pendant un quart d'heure dans tout le pays pour célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Devant une petite église du canton d'Argovie, des soldats écoutent la sonnerie des cloches qui retentit pendant un quart d'heure dans tout le pays pour célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale.image: Keystone/Str/Photopress-Archives (8.5.1945)

Avant la fin de la guerre, le gouvernement suisse avait déjà compris qu'une normalisation rapide des relations avec l'Union soviétique était nécessaire. Il manifesta sa bonne volonté par diverses démarches. Le tournant se produisit finalement au printemps 1946, avec des excuses diplomatiquement formulées à l'adresse de l'Union soviétique. Peu après, Berne et Moscou échangèrent leurs ambassadeurs.

Une transition sans heurts

«En moins d'un an après la fin de la guerre, le gouvernement suisse et la diplomatie helvétique avaient réussi à écarter de manière pragmatique les principaux problèmes avec les Etats-Unis et l'Union soviétique», résume l'historien Sacha Zala.

Le conflit naissant entre les deux superpuissances a rapidement redonné un sens à la neutralité, qui avait joué un rôle identitaire pendant la Seconde Guerre mondiale. La neutralité armée de la Suisse et l'état de guerre intellectuelle se sont poursuivis sans transition pendant la guerre froide, explique Sacha Zala:

«C'est le grand paradoxe de la Suisse, qui a survécu à la Seconde Guerre mondiale sans guerre»
Le professeur Sacha Zala

Traduit et adapté par Noëline Flippe

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Video: watson
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