Bon ben voilà. Sept mois après l’élection de la Jurassienne Elisabeth Baume-Schneider au Conseil fédéral, le Fribourgeois Alain Berset annonce qu’il quittera le gouvernement à la fin de l’année. Un Alémanique succédera à un Romand, à moins que les germanophones, majoritaires au parlement, ne consentent à reconduire une majorité latine à l’exécutif. Hypothèse très peu probable. Tout devrait rentrer dans l’ordre confédéral au rayon des langues nationales. L’exception aura tenu un an. Elle n’était pas destinée à durer.
«Nous savions qu’il y aurait un retour de bâton à la prochaine élection», commente le politologue René Knüsel. Pouvions-nous prévoir que la prochaine élection arriverait si vite et qu’elle concernerait la succession d’Alain Berset? Plus facile à dire après coup, mais la réponse est «oui», bien que celui-ci ait laissé entendre qu’il rempilerait pour quatre ans, ce qui ne sera donc pas le cas.
Son départ à la fin de la présente législature était à ce point de l’ordre du possible que des parlementaires socialistes alémaniques, probablement des Zurichois parmi eux, ont très certainement fourni les voix nécessaires à l’élection de la Romande Elisabeth Baume-Schneider.
Ils savaient qu’à l’occasion de la démission d’Alain Berset, pour peu qu'elle ne tarde pas, un Alémanique lui succéderait de manière à mettre fin à la surreprésentation latine au gouvernement, et que la place aurait des chances d’échoir à un ou une socialiste de la métropole zurichoise après avoir échappé à une socialiste de la métropole bâloise.
En applaudissant à l’élection de la Jurassienne qui donnait aux Latins une majorité limitée dans le temps au Conseil fédéral, les Romands et les socialistes parmi eux, se sont privés, sauf énorme surprise, de toute chance de pouvoir remplacer par un des leurs Alain Berset, le conseiller fédéral romand sans doute le plus marquant de ces dernières décennies. Une succession socialiste francophone aurait été comme une continuité et un hommage.
Et Baume-Schneider, n’est-elle par romande? Oui, mais c’est moins un profil idéologique qu’un personnage qui clouait le bec à l’«arrogance bâloise», qui a été élu le 7 décembre 2022. Car elle n'est au fond pas moins marquée à gauche qu'un Pierre-Yves Maillard, dont la majorité bourgeoise du parlement n’a pas voulu au Conseil fédéral. L’origine sociale modeste de la Jurassienne, son ancrage rural, des attaches bernoises par ses parents, sa manière d’incarner l’unité de la Suisse en étant paradoxalement issue d’une sorte de terra incognita, tout cela a plu, singulièrement à l’UDC.
La question est celle du poids exercé par Elisabeth Baume-Schneider parmi ses pairs. «Je ne la sens pas au front, elle n’a pas réussi à s’imposer d’un coup de poing sur la table au Conseil fédéral, mais cela peut encore venir», dit d’elle René Knüsel. Pour la Franc-Montagnarde de gauche, on ne pouvait imaginer plus grand contre-emploi, dans une Suisse majoritairement à droite, que celui de cheffe du Département de justice et police. Aura-t-elle l’occasion de changer de ministère à la faveur du départ d’Alain Berset? Sa non-réélection par l’Assemblée fédérale en décembre est très peu probable.
Et Roger Nordmann? Le conseiller national Vaudois, parfait connaisseur des arcanes parlementaires, émérite bilingue français-allemand, longtemps chef du groupe socialiste à Berne, ne pourrait-il pas proroger l’exceptionnelle majorité latine au Conseil fédéral? Sa non élection à la présidence de la Commission d’enquête parlementaire sur Credit Suisse n’est pas de bon présage pour lui.
Sortons à présent du carcan linguistique majoritaire minoritaire pour retenir qu'Alain Berset restera probablement comme un conseiller fédéral de temps de guerre, celle menée contre le Covid, avec l'autorité d'un chef.