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Les nouveaux UDC ont débarqué

Nils Fiechter, Sarah Regez et Martin Sellner.
Nils Fiechter et Sarah Regez: les nouveaux visage de la jeune garde de l'UDC.keystone (montage watson)
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Les nouveaux UDC ont débarqué

La direction des Jeunes UDC est sous pression après la révélation de liens avec un membre sulfureux de l'extrême-droite autrichienne. Les jeunes du parti vont-ils prendre un virage «identitaire»? Une fracture avec la vieille garde blochérienne est-elle à venir?
04.04.2024, 18:5205.04.2024, 10:29
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Une réunion secrète – ou dont la grande discrétion confine à la suspicion – entre Sarah Regez, cheffe de la stratégie des Jeunes UDC, et Martin Sellner, activiste d'extrême-droite autrichien, ainsi que des membres du groupe Junge Tat, jette le trouble sur les liens entre les jeunes du parti et les milieux identitaires européens.

L'information, révélée par le Sonntagsblick, fait des vagues à l'intérieur et à l'extérieur de la formation jeunesse de l'UDC: les autres partis de jeunes leur mettent la pression pour se distancier formellement des ces mouvances. Six partis cantonaux de Jeunes UDC ont fait de même.

S'agit-il d'une polémique de plus sur la longue liste de l'UDC, ou bien d'une fracture idéologique qui s'apprête à devenir béante au sein du parti?

L'UDC préfère laver son linge sale en famille

Oscar Mazzoleni, professeur en sciences politiques à l'Université de Lausanne, estime que «les liens entre certains membres de l'UDC des groupuscules extrémistes n'est pas une nouveauté, même s'ils n'ont jamais été institutionnalisés». Pour autant:

«C'est la première fois que des dissensions sur la question du lien avec des extrémistes se manifestent sur la place publique»
Oscar Mazzoleni, politologue

Le fait que des sections de jeunes soient touchés est aussi une nouveauté, note le professeur. «Cela montre les difficultés du parti, car les différends sont habituellement maintenus et traités à l'intérieur des rangs.»

«Normalement, l'UDC ne règle pas ses différends en public»
Oscar Mazzoleni, politologue

L'expert note, toutefois, que des liens avec la Junge Tat ont déjà été évoqués lors des dernières élections fédérales. Mais l'UDC n'a pas suffisamment fait le ménage à ce moment-là: «Le parti n'a pas exercé son pouvoir décisionnel sur ces questions et a laissé une marge de manœuvre. Il n'a pas joué son centralisme traditionnel», explique le professeur. Justement parce que l'influence des identitaires y est grandissante?

De la vieille garde à la nouvelle

Il y a 30 ans, celle qu'on peut désormais qualifier de vieille garde blochérienne a bâti autour des structures du Parti paysan d'antan une lignée basée sur une défiance envers l'Union européenne, un souverainisme défendu contre vents et marées et une ligne stricte sur l'immigration.

Mais depuis les années 1990, d'autres tendances se sont développées en Europe. Le sursaut populiste est passé par là et fait désormais des petits avec les identitaires. Le Rassemblement national, mais aussi Reconquête en France, ou encore Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne, rejettent la vision d'une Europe où les cultures sont noyées dans un grand pot-pourri post-moderne.

L'UDC n'a, toutefois, pas attendu pour se positionner sur les questions «civilisationnelles», à l'image de l'initiative pour l'interdiction des minarets, acceptée par le peuple en 2009. «Mais ces questions étaient laissées à des comités indépendants, comme celui d'Egerkingen», analyse Oscar Mazzoleni.

«Au sein de l'UDC, l'influence du mouvement identitaire a toujours été présente, mais jusqu'ici plutôt marginale. Mais les idées circulent»
Oscar Mazzoleni, politologue

«Remigration», le terme qui fâche

C'est ici que la question du vocabulaire s'impose. Après la thèse du «Grand remplacement», c'est la «remigration» qui agite les esprits. L'idée? Promouvoir le retour, le renvoi voire la déportation d'habitants d'origine extra-européenne, dans leur «pays d'origine».

ABD0086_20230504 - WIEN - �STERREICH: Am Donnerstag, 04. Mai 2023, muss sich Martin Sellner, bis 2023 Sprecher der als rechtsextrem eingestuften Identit�ren Bewegung �sterreich (IB�), wegen Verhetzung ...
Sous sa mèche de premier de classe, Martin Sellner profile un agenda politique.apa

Martin Sellner – qu'a rencontré Saraz Regez – avait évoqué la remigration lors d'une conférence à laquelle ont participé des membres de l'AfD, en décembre dernier. La révélation de cette rencontre a fait sortir les Allemands en masse dans la rue, il y a quelques mois.

Jean-Yves Camus, codirecteur de l'Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean Jaurès, rappelle que «Martin Sellner avait des contacts avec Génération identitaire», le groupe dissous par Gérald Darmanin en 2021. Le terme de remigration a notamment été utilisé par Eric Zemmour en France – mais pas par Marine Le Pen, «dans une optique d'aspiration au gouvernement».

«Martin Sellner cherche à faire de l'entrisme au sein de différents partis européens, souvent via des mouvements de jeunes, pour y pousser un agenda politique»
Jean-Yves Camus

La Suisse, Martin Sellner la connaît, d'ailleurs. Pas plus tard que mi-mars, il avait été escorté hors d'une conférence tenue dans le canton d'Argovie. «Pour raisons de sécurité», officiellement, des opposants politiques s'étant amassés à l'extérieur. Même Elon Musk avait réagi sur le réseau X.

Une rupture assumée?

Le terme de remigration, Sarah Regez ne le rejette pas. Bien au contraire. Sur son site, elle a partagé une feuille de route sur la question, où elle précise et étend ses idées. Sa vision concernerait les individus qui séjournent illégalement en Suisse, mais aussi tous ceux qui sont dépendants de l'aide sociale sur la longue durée et les criminels.

Sarah Regez
Sarah Regez.dr

La jeune idéologue du parti s'est-elle ainsi distancé des idées de ses aînés? Pas forcément, puisque «les migrants en soi ne sont pas un problème pour l'UDC, tant que leur arrivée est réglementée, qu'ils sont intégrés au marché du travail, ne demandent pas de subsides et ne commettent pas de crimes», analyse Oscar Mazzoleni. Mais l'utilisation du terme, lui, détonne:

«Les termes de "remigration" ou de "grand remplacement" ne font pas partie du vocabulaire de l'UDC blochérienne»
Oscar Mazzoleni, politologue

Sous l’impulsion de l'AfD en Allemagne et alors que la campagne pour les élections européennes bat son plein, «la vision identitaire est entrain de prendre de poids». Oscar Mazzoleni note que la Suisse n'échappe pas à une tendance montante en Europe.

«Pour une partie des Jeunes UDC, la question civilisationelle ou identitaire est devenue plus importante que les enjeux économiques. C'est cela qui explique la division actuelle»
Oscar Mazzoleni, politologue

Une nouvelle génération

C'est bien sur ces mouvements que semblent s'arrimer la nouvelle génération de Jeunes UDC, Sarah Regez comme son président Nils Fiechter — les deux forment d'ailleurs un couple au privé comme sur les rangs du parti. L'influence peut même être sentie outre-Atlantique: sur son site, le nouveau président des Jeunes UDC se met en scène en photo dans un style qui rappelle lourdement Donald Trump, entre l'hommage et le pastiche.

Nils Fiechter (UDC) imite Donald Trump.
Nils Fiechter. «Donnie, is that you?»dr

Les partis de jeunesse ont une fonction double auprès de leurs «parti-mères»: tout d'abord, laisser les jeunes pousses se frotter à l'exercice politique plus librement avant de les envoyer faire du «vrai travail» institutionnel. Mais ils servent aussi de laboratoire d'idées. Les «excès des plus jeunes» permettent de sonder implicitement l'électorat et savoir si celui-ci est prêt à accepter un changement de ligne.

L'UDC va-t-elle devoir clarifier sa ligne idéologique sous la pression de sa section Jeunes? «L'UDC a toujours tenté d'éviter d'avoir des concurrents sur sa droite et cela implique une stratégie d'intégration, comme on l'a vu avec le mouvement Mass-Voll et dans le passé avec les Démocrates suisses», analyse Oscar Mazzoleni.

A propos de Mass-Voll et son leader, Nicolas Rimoldi 👇

L'expert estime que l'émergence d'un milieu intellectuel plus radical forcera le parti à se positionner à nouveau. Mais le changement de présidence actuelle, tant à la tête du parti que des Jeunes UDC, explique aussi un certain flottement.

«C'est un moment de transition. Il faudra scruter la réaction du nouveau président, Marcel Dettling»
Oscar Mazzoleni, politologue
Ces vaches adorent le Printemps
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