Infiltrée dans l'ultragauche: «Les juifs doivent montrer patte blanche»
Nora Bussigny, 29 ans, vient de publier Les nouveaux antisémites: enquête d'une infiltrée dans les rangs de l'ultragauche (éditions Albin Michel, 259 p.). Cette journaliste au Point, à Franc-Tireur et Marianne s'est fait connaître il y a deux ans avec sa précédente enquête dans les milieux wokes, intitulée Les Nouveaux inquisiteurs, parue déjà chez Albin Michel. Elle était annoncée ce mercredi à Lausanne et sera à Genève jeudi pour présenter son dernier ouvrage. Ses apparitions publiques lors de conférences font l'objet d'une protection.
Qu’est-ce qui vous a incitée à écrire Les nouveaux antisémites? Quel a été l’élément déclencheur?
Nora Bussigny: Le point de départ, c’est mon précédent ouvrage, Les nouveaux inquisiteurs, qui était aussi une enquête en infiltration, mais sur le phénomène du wokisme. Je voulais voir alors s’il existait vraiment une radicalité militante dans les milieux féministes, antiracistes et LGBT. Les nouveaux inquisiteurs sont sortis trois semaines avant le 7-Octobre. Dès les jours suivant le massacre du Hamas, lorsqu’on a vu les images de qu’il s’était passé, j’ai eu le réflexe de réactiver l’un de mes faux comptes dont je me sers pour mes enquêtes.
Qu'avez-vous découvert sur ce faux compte?
Sur ce faux compte réactivé, j’étais en connexion avec beaucoup de figures féministes et LGBT. Après l’horreur du 7-Octobre, où il est apparu que des femmes avaient été violentées, comme le montrait la vidéo de Shani Louk, cette jeune femme au corps désarticulé emmenée à l’arrière d’un pick-up du Hamas, j’ai pu constater qu’il y avait un silence complètement assumé de la part de ces féministes.
Qu'est-ce que vous vous êtes dit alors?
Je me suis dit qu’il y avait là un éléphant au milieu de la pièce et qu’il fallait le traiter. C’est comme si, à compter du 7-Octobre, les masques tombaient et pouvaient tomber. Je me suis dit qu’il fallait que je retourne en infiltration, sachant que si j’y allais sous mon nom, le contradictoire me serait refusé, étant donné que depuis la parution des Nouveaux inquisiteurs, j’étais accusée par ces milieux militants radicaux de travailler pour des médias fascistes, Le Point, Franc-Tireur ou encore Marianne. A leurs yeux, j’étais cataloguée comme une journaliste d’extrême droite. Ce que je ne suis pas. Je tiens à le spécifier (rires). Si je devais me définir politiquement, je dirais que je suis de centre droit.
Etiez-vous convaincue d’avoir affaire à de nouveaux antisémites avant même le début de votre enquête?
Un collectif féministe juif du nom de «Nous vivrons» a voulu participer à la manifestation. Il en a été empêché. Des femmes de ce collectif sont venues témoigner auprès de moi d’épisodes violents vécus à cette occasion et qui s'amplifieraient par par suite. On s’est aperçu, à cette occasion également, que des hommes avaient phagocyté avec beaucoup de violence les luttes féministes. J’ai eu confirmation de ce que je soupçonnais.
Qu’est-ce qu’il y a de nouveau, chez ces nouveaux antisémites?
Ce qu’il y a de nouveau, ce sont les vecteurs utilisés, les réseaux sociaux: TikTok, X, Instagram. Des vecteurs qui n’étaient pas présents durant la première et la seconde Intifada (red: dans les années 1980 et 2000). Ces vecteurs ont offert des mégaphones surpuissants à ces antisémites de l’ultra-gauche, dont les préjugés ne datent pas d’hier et qu’on retrouve à l’ultra-droite aussi.
De quels préjugés parlez-vous et qu’est-ce qui vous permet de qualifier ces nouveaux antisémites d’antisémites, alors qu’ils se disent antisionistes?
Ils sont antisémites parce que les critiques virulentes et souvent dégradantes qu'ils adressent aux sionistes, épousent les préjugés antisémites. Par exemple: les sionistes tiennent le gouvernement et les médias, ils possèdent l’argent, ils contrôlent, ils manipulent. Le mot «sioniste» ne fait ici que remplacer celui de juif. Ces nouveaux antisémites vont tenter de montrer patte blanche en disant que les sionistes ne sont pas tous les juifs. Mais ce sont bien des antisémites.
En quoi le sont-ils s'ils disent ne pas confondre sionistes et juifs?
On leur demande de faire l’apologie du terrorisme. Or, à l’époque, on n’a pas demandé aux musulmans en France, et c’est tant mieux, de se désolidariser de Daech, même si je ne compare pas le gouvernement Netanyahou, que je réprouve, avec l’Etat islamique.
Dans quels lieux s’enracine aujourd’hui cet antisémitisme?
Dans des collectifs, soit dissous, soit en passe de dissolution. Et dans des universités, qui sont les lieux les plus visés.
Lesquelles en particulier?
Je pourrais en citer deux, qui m’apparaissent comme les endroits les plus violents. Le campus Toulouse-Jean-Jaurès, dit aussi le Mirail, et le campus de l’ULB, l’Université libre de Bruxelles. Je me suis rendue, début 2025, à l’ULB. Il s’est passé là quelque chose qui m'a beaucoup choquée. J’y ai recueilli des témoignages d’étudiants juifs, mais aussi de la rectrice, qui a reçu des menaces de mort.
Tout est retranscrit dans mon livre. La rectrice elle-même a confirmé ce qu’il a subi. Il y a eu à l’ULB un blocus de plusieurs semaines, qui a coûté plus d’un demi-million d’euros en dégâts, autour du soutien à la résistance armée du Hamas. Ce blocus a pu se tenir grâce à l’entrisme d’une organisation reconnue comme terroriste dans de nombreux pays, qui s’appelle Samidoun, l’émanation du FPLP, le Front populaire de libération de la Palestine, reconnu lui aussi comme terroriste.
Le slogan «sionistes hors de nos facs» veut-il dire «pas de juifs dans nos facs»?
Pas toujours. Pour les militants qui instrumentalisent le rapport au sionisme, qui n’est autre, rappelons-le, que l’existence d’un Etat juif, oui, l’amalgame est fait ou recherché. Pour les militants qui vont bêler ça doctement, non. Pour autant – c’est un exemple que je cite dans mon livre –, un étudiant a modifié les photos de profils de tous les étudiants juifs ou présumés tels figurant sur la plateforme de son université pour les remplacer par le drapeau palestinien. Pourquoi l’avoir fait avec les seuls étudiants juifs ou présumés tels si cela n’a pas de rapport avec la judéité?
L’appel à la résistance armée contre Israël fait-il des personnes qui adhèrent à ce projet des antisémites?
Oui, quand on parle du Hamas qui veut la destruction d’Israël. Je rappelle qu'est antisémite le fait de refuser au peuple juif le droit à un foyer. Or, la légitimité juive n’est pas moins grande que la légitimité palestinienne au Proche-Orient. Pour ma part, je suis favorable à une solution à deux Etats, et je pense que la France a eu raison de reconnaître l’existence d’un Etat de Palestine, même si l’on a pu discuter du moment choisi pour cette reconnaissance, les otages israéliens n’ayant pas alors encore tous été rendus.
Etes-vous juive vous-même?
Non, pas du tout. Je ne suis même jamais allée en Israël. La moitié de ma famille, par ma mère qui est d’origine marocaine, est de confession musulmane. L’autre moitié, du côté de mon père, est française et catholique non pratiquante. Ma mère, qui est arrivée en France à l’adolescence, ne pratique plus l’islam.
Pourquoi traiter du wokisme et de l’antisémitisme vous tient-il à cœur?
Dans le cas du wokisme, c’est parce que je suis très engagée pour les droits des femmes et pour les droits des personnes LGBT. Comme pour tout ce qui me tient à cœur, je suis très attentive aux dérives. S’agissant de l’antisémitisme, c’est surtout parce que, quand j’étais adolescente, je vivais en banlieue parisienne, en Seine-et-Marne. S’il y avait des juifs, ils ne le disaient pas ou pas trop.
A ce propos, je me souviens que des amis m’avaient proposé d’aller voir un spectacle de Dieudonné dans son théâtre de la Main d’or à Paris. C’était l’année de mon bac, en 2012 ou 2013. Je n’étais pas encore majeure. J’avais dit oui, mais j’en avais d’abord parlé à mes parents. Qui m’avaient conviée à une sorte de conseil de famille, sur le mode, on va t’expliquer les bases et les nuances, la différence entre l’ironie et l’illégalité. Mes parents, des lecteurs de Charlie Hebdo, m’ont réveillée et m’ont dit: là, ça suffit.
Selon vous, quelles sont les passerelles entre Soral et Dieudonné et les jeunes d’aujourd’hui ?
C’est justement un sujet sur lequel je travaille en ce moment. Dans le cas de Dieudonné, il y a vraiment un retour en sa faveur, et on peut remercier un média prisé des jeunes, qui s’appelle Legend, sur YouTube, qui l’a reçu en 2024 en grandes pompes pour une interview présentée comme un droit de réponse à Elie Semoun. L’audience énorme qui lui a été donnée est gravissime. Cela a beaucoup contribué à cette fascination chez les jeunes, que nous, jeunes à l’époque, pouvions avoir pour lui. Alain Soral apparaît, lui, dans le cadre des luttes décoloniales, Israël étant à ses yeux l’origine de tous les maux. Quelqu’un comme Houria Bouteldja (réd: invitée en janvier 2025 à Lausanne) cite Alain Soral. En 2014, Rima Hassan retweetait à deux reprises Alain Soral.
