On en sait plus sur la faillite qui a coûté cher à Bertrand Piccard
Bertrand Piccard a longtemps été le visage du fabricant genevois d’installations solaires Prime Energy Cleantech, qui a fait faillite en 2024. Entre 2015 et 2023, l'entreprise a récolté plus de 120 millions de francs auprès d’environ 2000 investisseurs, majoritairement privés et surtout en Suisse romande. Selon une estimation de l’administrateur judiciaire, 60 à 80% de cette somme sont aujourd'hui perdus.
Le Ministère public soupçonne le fondateur et actionnaire principal, Laurin Fäh, ainsi que son ancien manager Khalid Belgmimi, de détournement de fonds, d’escroquerie, de gestion déloyale ainsi que d’autres délits. Les deux hommes sont en détention provisoire depuis fin septembre à la prison genevoise de Champ-Dollon.
Les procès-verbaux sont embarrassants
Il y a quelques jours, les premiers procès-verbaux d’audition ont été transmis aux parties plaignantes. Ces documents dressent un tableau pour le moins confus. Le CEO, Khalid Belgmimi, affirme qu’il n’a jamais vraiment été directeur général, mais plutôt un simple vendeur au service de Laurin Fäh.
De son côté, l'actionnaire principal prend ses distances avec son manager dès que les levées de fonds sont abordées. Quant à la comptabilité, Khalid Belgmimi assure ne pas s’en être beaucoup occupé.
Dans les procès-verbaux, Laurin Fäh apparaît en revanche comme un expert-comptable sûr de lui. Il explique que les pertes chroniques de Prime Energy, combinées à un endettement en forte hausse, auraient été supportables d’un point de vue «consolidé», à l’échelle du groupe.
Mais l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) aurait, selon lui, tiré trop la prise de la compagnie genevoise en interdisant toute nouvelle émission de titres de créance. Le Bâlois de 72 ans plaidait pour une vision «consolidée» des chiffres.
Problème, cela suppose une vue d’ensemble sur un enchevêtrement de plusieurs dizaines de sociétés, souvent à l’étranger et placées sous son contrôle direct ou indirect. Les auditions montrent que même les procureurs ont bien du mal à suivre cette fameuse vue d'ensemble.
Prime Energy était la porte d’entrée financière d'un édifice opaque. Bertrand Piccard lui a prêté son image durant plusieurs années – bien entendu contre rémunération, mais dont il refuse toujours de révéler le montant. On le voyait sur les affiches et dans les prospectus de vente de Prime Energy, où il était cité avec des phrases qu’il avait lui-même formulées, telles que: «Le soleil me permet de m'envoler et d’investir.»
Lors de plusieurs auditions, Laurin Fäha a déclaré aux procureurs:
Piccard, lui, se considère doublement comme une victime. Il dit avoir investi lui-même 100 000 francs en obligations et 100 000 francs en actions de Prime Energy, avant de constater comment l’entreprise «a abusé et terni ma bonne réputation dans le cadre d’une fraude présumée».
«Une fois que j'ai reçu l'argent, c'est mon argent»
Lors de son audition, Laurin Fäh – à qui la Finma a interdit il y a un an toute activité soumise à autorisation en matière de marchés financiers, sous menace de sanction pénale – a exposé une conception très personnelle de l’argent emprunté au public:
Jamais Bertrand Piccard, ni ceux qui lui faisaient confiance, n’avaient sans doute entendu les choses formulées aussi crûment. Car Prime Energy n’a pas investi l’argent collecté uniquement dans des installations solaires, mais aussi dans l’immobilier et même dans une entreprise portugaise de cannabis médical. Devant les procureurs, Laurin Fäh a affirmé:
Bertrand Piccard, lui, ne l’aurait certainement pas accepté. Aujourd’hui, alors que les dégâts sont faits, son discours est tout autre. En réponse à nos sollicitations, il confie:
Il aura toutefois du mal à se décharger complètement de toute responsabilité. Lors des auditions, Khalid Belgmimi et Laurin Fäh ont expliqué avoir très rarement été interrogés sur la situation financière de Prime Energy par Bertrand Piccard, alors même que les chiffres publics auraient dû susciter des questions. L'aventurier reconnaît lui-même qu’il s’est «effectivement renseigné beaucoup trop tard».
Il affirme n’avoir jamais été méfiant, sans quoi il n’aurait pas investi personnellement son argent. Selon lui, il revenait à PwC, qui révisait les comptes, de s’occuper des aspects financiers de Prime Energy. Cette déclaration révèle un malentendu: les sociétés de contrôle vérifient la conformité légale des comptes annuels, mais elles ne sont pas là pour juger de la santé économique d’une entreprise, encore moins pour mettre au jour d’éventuelles infractions pénales.
Traduit de l'allemand par Joel Espi
