Twint est en colère à cause d'une «feinte» d'Apple
Sortir son iPhone, appuyer deux fois sur le bouton latéral, l'approcher du terminal de paiement, rien d'autre. C'est en vantant la simplicité de sa technologie que le groupe américain Apple fait sa pub. Problème: en Suisse, cette fonction n'est accessible qu'aux utilisateurs ayant enregistré leur carte de débit ou de crédit sur Apple Pay.
Et les autres fournisseurs de portefeuilles numériques, dont Twint, n'accèdent à l'interface NFC (Near Field Communication) d'Apple que moyennant finance. Comme cela coûte cher, aucun petit acteur ne s'engage. L'intention de la marque à la pomme saute aux yeux: forcer leurs concurrents à passer par Apple Pay ou à mettre la main au porte-monnaie.
Auparavant, le groupe allait encore plus loin. Il ne percevait pas de frais, mais refusait systématiquement l'accès NFC à des tiers. La commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, a clairement indiqué qu'Apple protégeait ainsi «de manière déloyale» son propre portefeuille numérique. Elle évoquait un préjudice - par ailleurs illégal - pour les consommateurs.
Pour éviter la sanction, Apple a rétropédalé et met depuis lors sa technologie NFC gratuitement à disposition. Cette concession ne s'applique toutefois qu'à l'Espace économique européen (EEE). En Suisse, des entreprises comme Twint peuvent certes développer des solutions basées sur la NFC depuis fin 2024, mais elles doivent s'acquitter d'une redevance. Apple couple en effet l'accès à son propre «Secure Element».
Twint critique la «feinte» d'Apple
Et cela frustre particulièrement Twint, véritable fleuron suisse. L'un de ses porte-parole qualifie la tactique du géant de la Silicon Valley de «feinte visant à tirer profit de l'utilisation de l'interface NFC en Suisse». Il trouve particulièrement choquant que des frais s'appliquent pour une technologie qui n'a pas été développée par Apple:
Au final, Apple s'octroie un avantage concurrentiel et rend les paiements mobiles plus chers dans notre pays.
Twint examine pour l'heure les «possibilités juridiques». Elle n'est pas seule: «Nous savons que d'autres entreprises suisses sont également intéressées». Twint attend beaucoup de cette technologie:
Une majorité de la clientèle serait favorable à cette solution.
Pour Twint, la Comco doit agir face à Apple
Twint place tous ses espoirs dans la Commission suisse de la concurrence (Comco). «A notre avis, il lui appartient d'exploiter les voies juridiques existantes et d'imposer l'accès à l'interface NFC des appareils Apple aux mêmes conditions qu'au sein de l'UE, y compris en Suisse».
La firme renvoie à une réponse du Conseil fédéral à l'interpellation du conseiller aux Etats PLR, Damian Müller. En septembre, celui-ci avait déploré que le trafic des paiements suisse soit «sous la coupe des géants américains», à savoir Apple. Il souhaitait également savoir si un tel comportement enfreignait le droit suisse des cartels. La réponse du gouvernement: probablement, oui.
Rien n'est cependant aussi simple. Alors que l'UE a adopté des règles spécifiques pour les Gafam, il n'existe en Suisse aucune disposition obligeant Apple à donner accès gratuitement à ses services. Interpelée à ce sujet, la Comco nous répond ceci:
Manœuvres de perturbation et boycotts
Les autorités travaillent-elles actuellement sur cette question? Difficile de le savoir. Elles nous disent que la Commission de la concurrence examine en permanence les conditions de concurrence et du marché en Suisse, y compris dans le domaine des paiements sans espèces. La Comco ne doit rendre publiquement des comptes que lorsqu'elle a ouvert une enquête. Or, ce n'est à l'heure actuelle pas le cas.
Et de souligner en outre des interventions régulières dans le domaine des opérations de paiement par le passé. Un litige entre Apple et Twint avait déjà fait l'objet d'une attention particulière en 2018. Le premier avait programmé ses appareils de sorte qu'Apple Pay se lance automatiquement à proximité d'un terminal de paiement, empêchant ainsi le processus de paiement via Twint.
Lorsque la Comco a ouvert une enquête préliminaire, Apple a renoncé à sa manigance et a dès lors supprimé sa solution pour les paiements Twint. La Comco a alors clos son enquête.
Mais les investigations ont aussi lieu dans l'autre sens. En 2018 également, une enquête - toujours en cours - a été ouverte contre les banques suisses. Le soupçon: des établissements financiers, dont certains propriétaires de Twint, auraient boycotté Apple Pay et Samsung Pay en refusant d'autoriser leurs cartes de crédit. Un moyen de privilégier la solution suisse. Une pratique abandonnée depuis.
Ces épisodes montrent à quel point la lutte fait rage dans le domaine. Le débat arrivera jeudi au Conseil des Etats. L'interpellation du libéral-radical Damian Müller figure à l'ordre du jour. Il a averti: la Suisse devient un îlot de cherté pour les paiements mobiles et dépend de plus en plus des groupes technologiques américains. Cela ne saurait être dans son intérêt en matière de politique de concurrence.
De son côté, Apple n'a pas répondu à nos questions.
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker
