Son vrai nom est connu de la rédaction, mais, pour préserver son anonymat, nous l’appellerons Jacques Lechanceux. Le nom n’a pas vraiment d’importance, ce qui compte, c’est l’histoire derrière ce gain record. Nous rêvons presque tous de gagner à la loterie. Mais comment vit-on ce moment quand il arrive réellement?
Aujourd’hui, Jacques a plus de 70 ans et profite de sa retraite. Père de famille, il a travaillé en indépendant pendant des années, appartenant à ce que l’on appelle la classe moyenne laborieuse dans le canton de Berne. Il n’a jamais eu de soucis financiers, mais il n’était pas non plus à l’abri du besoin.
Vous avez gagné 48 millions à la loterie suisse il y a dix ans. Aviez-vous une méthode pour jouer?
Non. Je jouais de temps en temps au loto et je gagnais parfois des petits lots. Un samedi d’automne 2014, je travaillais dans le jardin et je n’avais plus rien à fumer. Je suis donc sorti pour acheter des cigarettes, et en passant, j’ai vu une manchette de journal parlant d’un jackpot record.
Je me suis installé en short sur la terrasse et j’ai rempli un billet. Je n’ai même pas fumé en le faisant.
Combien avez-vous dépensé en billets de loto dans votre vie?
Si je me souviens bien, bien moins de 100 francs.
Que s’est-il passé ensuite?
Ma femme et moi étions invités à une représentation théâtrale. En rentrant tard à la maison, j’ai vu le billet de loto sur le comptoir de la cuisine et je suis allé vérifier les numéros gagnants sur Internet, juste pour voir si j’avais gagné un petit lot. Puis, j’ai réalisé que j’avais les six bons numéros et je me suis dit: Non, ce n’est pas possible. J’ai dû boire un whisky. Ensuite, je suis allé voir ma femme dans la chambre et je lui ai dit: «Je crois qu’on a gagné.» Elle m’a répondu à moitié endormie: «Oui, oui, quelle bonne blague», et elle n’y a pas cru.
Avez-vous bien dormi?
Oui, à ma grande surprise, très bien. Si je me souviens bien, je m’étais même offert un troisième whisky avant de m’endormir.
Vous souvenez-vous de la marque du whisky?
Oui, c’était un Dimble.
Avez-vous bien dormi les jours suivants?
Oui, très bien.
Qu’est-il arrivé ensuite?
Le lundi, j’ai appelé le centre de la loterie à Bâle. Nous devions nous y rendre avec notre passeport et le billet de loto. On nous a prévenus: «Venez par l’entrée de derrière. Les médias savent que quelqu’un a gagné le jackpot et ils guettent sûrement toute la journée à l’entrée principale.» Nous sommes donc passés par l’arrière et avons quitté le bâtiment de la même manière.
Qu’est-ce qui vous passe par la tête quand vous gagnez 48 millions au loto?
On commence à réfléchir. Qu’est-ce que je vais faire maintenant? C’est de la folie! D’abord, on se demande ce qu’on pourrait faire avec autant d’argent. Cela peut être dangereux et j’ai rapidement réalisé que cela pouvait aussi être un fardeau.
L’argent a-t-il été versé sur votre compte?
Oui, après déduction des impôts pour la commune, le canton et la Confédération.
Donc, ils ont tout de suite su que vous étiez le gagnant du loto?
J’ai immédiatement demandé une réunion avec le conseil municipal et chacun s’est engagé par écrit à garder le secret.
Cela a fonctionné?
La nouvelle s'est répandue petit à petit, mais je ne pense pas que la source était le conseil municipal.
Avez-vous réussi à garder votre gain plus ou moins secret?
Oui, j’ai dû mentir aux gens quand on m’en parlait.
Comment cela s’est-il passé ensuite?
On commence à réfléchir à ce que l’on peut faire avec l’argent. Nous en avons parlé avec notre banque, qui nous a conseillé de manière très compétente, et continue de le faire.
Le reste a été investi dans des actions, de l’immobilier et une résidence pour seniors. Je me suis aussi offert une voiture de rêve. Mais le gain s’est finalement répandu dans mon entourage et il y a eu une période avec de nombreuses demandes, des proches qui sont venus mendier.
Comment avez-vous réagi?
J’ai toujours dit «non» et n’ai accordé que quelques prêts sans intérêt, entre 150 000 et 300 000 francs, qui ont presque tous été remboursés.
Même à vos proches, vous avez dit non?
Oui.
Est-ce facile de dire non?
Je vais vous donner un exemple. Un ami d’enfance m’a contacté. «Tu te souviens, quand tu avais 18 ans, je t’ai prêté ma voiture et tu as fait une bosse dedans. La réparation m’a coûté deux mois de salaire et tu n’as jamais rien remboursé. Je t’envoie maintenant la facture.» Comme cette histoire remontait à 55 ans et que je ne suis pas du genre à ne pas payer mes dettes, j’ai proposé : «A l’époque, tu gagnais environ 500 francs par mois. Envoie-moi un bulletin de versement et je te paierai 1200 francs.»
Vous l’avez fait?
Non, car il n’était pas d’accord. Il a dit: «Avec les intérêts, ça fait 17 000 francs.»
Comment cette histoire s’est-elle terminée?
Il n’a rien obtenu. Je lui ai dit: «1200 francs ou rien.» Il a refusé.
Comment vos amis ont-ils réagi?
Je suis heureux de n’avoir perdu aucun ami.
Parle-t-on encore de votre gain aujourd’hui?
Non, pas vraiment. C’est du passé. Quelques amis font parfois des plaisanteries, mais de manière humoristique. Il a aussi fallu remettre les choses au clair à certains moments. Lors d’un barbecue organisé dans une de mes propriétés, j’ai entendu à la buvette: «Il empoche le loyer et il a encore le culot de mettre une boîte pour qu’on paie le barbecue.» J’ai dû expliquer que cette boîte était pour les pourboires de l’équipe du barbecue.
Avez-vous gardé le billet gagnant?
Oui, je garde le billet et le certificat de la loterie dans un coffre-fort.
Offrez-vous souvent des tournées?
Non, je le faisais parfois avant, comme il est de coutume, et cela n’a pas changé.
Votre style de vie n’a pas changé?
Non, je ne crois pas. Mes amis et moi pensons que ma femme et moi sommes restés les mêmes.
Je lui dis alors: nous avons les moyens maintenant, tu peux dépenser un peu plus.
N’avez-vous jamais été tenté de changer?
Non. Nous avons réfléchi à acheter peut-être une maison de vacances au Tessin au bord du lac, mais nous avons finalement renoncé. Ce serait un fardeau supplémentaire pour l’entretien. Nous préférons voyager et séjourner dans des hôtels de qualité.
La société de loterie vous a-t-elle proposé des conseils?
Oui, nous avons été avertis que de nombreux gagnants de la loterie avaient perdu leur argent en peu de temps. Mais nous avons estimé pouvoir gérer cela nous-mêmes.
Connaissez-vous d’autres gagnants de la loterie? Y a-t-il un club?
Non, je n’en ai rencontré aucun.
Avez-vous cessé de travailler après votre gain?
Non. J’étais indépendant et je devais toujours m’assurer de pouvoir payer mes factures. La retraite n’était plus un problème, mais j’aimais mon travail et j’ai continué quelques années après l’âge de la retraite.
Vous vous permettez quand même un peu plus de vacances?
Oui, un peu plus, et nous pouvons séjourner dans des hôtels confortables sans compter chaque centime.
Vous êtes-vous demandé pourquoi vous avez eu autant de chance?
Oui, ma femme et moi nous le sommes souvent demandé. Comment cela a-t-il pu arriver, assis en short sur la terrasse, sans même fumer? Cela revient parfois en tête: peu de gens ont eu une telle chance.
Avez-vous une explication à cette chance?
Non, aucune. Il n’y avait aucune méthode. Je me suis juste dit que cocher quatre numéros d’affilée n’apporterait rien.
Comme tout le monde...
Exactement.
Alors, le secret pour gagner au loto, c’est de remplir le billet en short sur une terrasse ensoleillée en renonçant à fumer?
Oui, c’est ça.
Avez-vous rejoué au loto depuis?
Non, je ne veux pas plus d’argent. Je laisse la chance aux autres... Ah, un détail que j’avais oublié de mentionner.
Dites-nous...
Sur le même billet de loto gagnant, j’avais aussi un petit lot...
(Traduis de l'allemand par Tim Boekholt)