Vous avez sûrement entendu ce mot qui revient en boucle sur les chaînes d’infos à propos de la guerre en Ukraine. Les généraux invités comme experts militaires l’ont en permanence à la bouche. Ce mot, c’est «masse». Il évoque quelque chose de lourd, de volumineux, de puissant. Bref, de massif. Enseignement du conflit russo-ukrainien pour les armées occidentales: la plupart d'entre elles manquent de masse. Elles se rendent compte qu’elles seraient à la peine si, comme les Ukrainiens, elles devaient faire la guerre pendant de longs mois.
L’expert des questions de défense, Alexandre Vautravers, rédacteur en chef de la Revue militaire suisse, dresse le constat:
Or, pour tenir dans la durée face à un ennemi comme la Russie, il faudrait à la fois plus de munitions, plus d’armes, plus de véhicules, plus d'hommes. Plus de tout, en somme. Un cas de figure emprunté au combat d’artillerie permet de comprendre ce que recouvre le terme de masse. Les explications d’Alexandre Vautravers:
La guerre occasionne des pertes humaines et des destructions de matériels. Plus un conflit s’installe dans la durée, plus il importe de pouvoir relever les forces et remplacer les équipements détruits ou demandant réparation.
L’expert militaire Alexandre Vautravers parle ici de ratio:
Dans l’armée suisse, le ratio est largement inférieur mais varie grandement d’un système à l’autre. Ainsi certains systèmes acquis durant la guerre froide sont encore disponibles en grands nombres alors que les matériels acquis récemment l’ont été en quantités faibles, note non sans inquiétude Alexandre Vautravers.
Voilà pour les matériels. Côté effectifs, «il n’y a actuellement pas de réserve», observe Alexandre Vautravers. L'armée suisse compte environ 100 000 hommes. Il est question de faire passer ce nombre à 120 000 – ce qui ne permet pas d’augmenter l'aptitude à mener des opérations sur plusieurs mois, selon l’expert militaire. «La taille de l’armée dépend de paramètres essentiels: le nombre de jeunes effectuant leur service militaire, le nombre de jours de service, ainsi que le nombre de cours de répétition à effectuer. Pour chaque année ou cours de 30 jours supplémentaires, la taille de l’armée augmente de 15 000 militaires.»
En suivant le raisonnement d'Alexandre Vautravers, la défense suisse pourrait en revenir aux effectifs d'Armée 95, qui étaient de 200 000 hommes, le double d'aujourd'hui. L'âge limite de servir remonterait alors à 42 ans, contre 30 ans généralement aujourd'hui.
Concernant la Suisse, Alexandre Vautravers plaide pour un ratio matériels-effectifs d’au moins 100% là où cela est possible. «Le budget militaire ne permet pas actuellement d’équiper – et encore moins de moderniser – l’ensemble des unités. Le choix rationnel est donc de disposer, d’une part, d’unités territoriales ou sédentaires, légèrement équipées, capables d’effectuer certaines missions et d’appuyer les autorités locales. D’autre part, de formations robustes disposant de matériels modernes et capables de tenir la comparaison avec ce qui se fait de plus performant chez nos voisins. C’est d’ailleurs sur ces bases qu’ont été conçues les doctrines de défense de la guerre froide.»
Toujours selon Alexandre Vautravers, colonel à l’armée, «les stocks ou réserves de munitions sont importants mais ne suffisent pas. Il faut disposer d’une capacité de production, de modernisation et de développement d’armements.»
Tout comme en France et en Allemagne, le budget militaire de la Suisse a été revu à la hausse. Il augmentera de deux milliards de francs d'ici à 2030, passant de 0,7% à 1% du PIB, une part qui reste inférieure à celle consacrée par ses deux voisines à leur effort de défense.👇
A propos de stocks d’armement, aide à l’Ukraine oblige, les Occidentaux sont inquiets pour les leurs, rapportait Le Monde la semaine dernière, citant le secrétaire permanent du ministère de la Défense d’Estonie, Kusti Salm. Qui déclarait:
Une formule diplomatique à l’appui d’une solution négociée dans la guerre russo-ukrainienne? Ou un appel à intensifier les cadences de production d’armements?