Le 25 septembre 2022, le peuple suisse approuvait à une très courte majorité (50,55% de oui) la réforme de l'AVS, qui prévoyait notamment de relever l'âge de la retraite des femmes à 65 ans. Le 6 août dernier, coup de tonnerre: la Confédération avouait avoir surestimé les prévisions de dépenses de l’AVS d’environ quatre milliards de francs.
Pour une partie de la classe politique helvétique, cette erreur a influencé le résultat du scrutin. Cinq recours ont été déposé auprès du Tribunal fédéral pour le faire annuler. Deux par les Verts, deux par les femmes socialistes. Et un dernier par Lucien Hürlimann, avocat lausannois de 29 ans, qui affirme avoir agi «en tant que citoyen», sans engager l'étude d'avocats dans laquelle il travaille. Alors que le Tribunal fédéral s'apprête à rendre sa décision, nous l'avons rencontré.
Quand et pourquoi avez-vous décidé de déposer un recours contre les résultats de la votation?
Lucien Hürlimann: La décision a été très spontanée. Quand j'ai appris l'existence de cette erreur, le 6 août, je me suis immédiatement dit qu'il fallait faire quelque chose. J'étais scandalisé. J'ai d'abord pensé à un recours collectif, mais le délai très court ne m'a pas permis de tergiverser. Il se trouve que c'est un domaine que je connais bien, donc je me suis dit: «tu sais le faire, fais-le.»
Pourquoi avez-vous décidé d'agir seul, sachant que des partis politiques allaient très probablement faire recours?
Il y avait une forme d'urgence, et aussi la volonté d'agir de manière non-partisane. Je ne suis affilié à aucun parti politique, et je pensais que c'était bien qu'il y ait également une voix citoyenne. Bien sûr, j'ai une opinion sur le sujet, mais je laisse cela à la politique. Dans mon recours, je ne critique pas le projet sur le fond. Ce que je critique, c'est le fait que la votation a été faussée à cause de l’erreur dans l’état d’information des citoyennes et citoyens.
Quels sont les arguments que vous mettez en avant dans votre recours?
J'estime qu'il y a eu une erreur dans la campagne de votation, et que cette erreur a influencé le résultat. Pour moi, c'est une certitude. L'écart des voix entre le oui et le non était extrêmement restreint, de l'ordre des 30 000 voix. Les sondages publiés après le scrutin montrent qu’environ 30% des votants ont pris leur décision en se basant principalement sur l'argument économique.
L'argument économique a-t-il joué un rôle important dans la campagne?
Oui, c'était l'argument principal, il était omniprésent. Que ce soit dans la brochure explicative du Conseil fédéral, dans les prises de position des différents politiciens et politiciennes, ainsi que dans la presse.
Comment cela va-t-il se passer, concrètement, le 12 décembre?
Les enjeux soulevés par cette procédure sont, en réalité, assez simples. Ils ne font pas appel à des raisonnements juridiques extrêmement complexes. Le Tribunal fédéral doit principalement statuer sur quatre points consécutifs. Est-ce qu'il y a eu une erreur? Est-ce qu'elle était suffisamment grave? Est-ce qu'elle était de nature à changer le résultat de la votation? Est-ce qu'on peut annuler cette votation au vu de la sécurité du droit?
Parlons de la sécurité du droit, justement. Dans sa réponse au recours, le Conseil fédéral estime qu'il est impossible de revenir en arrière, car la hausse de la TVA, liée à la modification de la loi sur l'AVS, est déjà entrée en vigueur.
Dans mon recours, je n'attaque pas la hausse de la TVA. Pour moi, il ne s'agit pas de la même problématique. Sans considérer le fait que la modification de la loi fédérale sur l'AVS et le relèvement de la TVA étaient deux objets de vote distincts. De ce fait, ils peuvent être contestés de manière séparée. Pour moi, on peut annuler l'un sans annuler l'autre, car ça aurait été possible d'accepter l'un sans accepter l'autre.
Le Tribunal fédéral va s'exprimer sur cinq recours. Le fait qu'il y en ait plusieurs peut-il jouer un rôle?
Oui. Je suis d'avis que plus il y a des recours, mieux c'est. Cela augmente la possibilité qu'ils soient un peu différents, ce qui multiplie les chances de réussite. Cela dit, j'ai été surpris de voir qu'il n'y en avait que cinq. Je me doutais que des partis politiques allaient réagir, mais, au vu de la gravité de cette erreur et de ses implications, je m'attendais à ce que plus de personnes privées décident de faire de même.
Quel est votre pronostic?
Je pense qu'il y a des chances de succès, et le fait que les délibérations seront publiques en est la preuve. Certes, cela est d'abord motivé par le caractère politique et médiatique de l'affaire. Pour le Tribunal fédéral, c'est une manière de montrer qu'il s'en occupe avec toute la rigueur nécessaire.
J'ai fait ce recours à titre individuel. Pas en tant qu'avocat, mais en tant que citoyen. En tant que citoyen recourant, je suis parfaitement convaincu qu'il y a eu une erreur, qu'elle est suffisamment grave pour que le Tribunal fédéral doive entrer en matière, qu'elle a influencé le résultat du vote et que la sécurité du droit ne s’oppose pas à l’annulation du scrutin. Je crois à tout ce que j'ai écrit. En tant qu’avocat, je sais que tout est ouvert et qu’il ne faut jamais crier victoire avant d’y être.
D'autant plus que ce serait une première.
Oui, ce serait historique. Ce serait la première fois qu'une votation qui a été acceptée par le peuple serait annulée. La seule votation qui a été annulée, celle du PDC en 2019, avait été rejetée. Une autre votation acceptée a fait l'objet d'un recours auprès du Tribunal fédéral. Il s'agissait de la deuxième réforme de l'imposition des entreprises.
Qu'est-ce que le Tribunal fédéral avait décidé à l'époque?
Les juges ont estimé qu'il n'était pas possible de revenir en arrière, car la réforme était déjà entrée en vigueur et que son annulation aurait entraîné trop de complications. Cette fois-ci, les principaux aspects de la réforme ne sont pas encore en vigueur et la situation est donc bien différente. Il faut aussi tenir compte de l’importance des conséquences de cette votation, soit du fait que plus de la moitié de la population doit consacrer un an supplémentaire de sa vie pour le travail.
S’il ne devait pas y avoir au moins un des recours déposés qui devait être admis, cela voudrait dire qu'il ne serait jamais possible de faire annuler une votation acceptée. Et, si le Tribunal fédéral va dans cette direction, il faut qu'il le dise expressément.