L'actualité a détonné dans la chaleur de l'été, venue tout droit de Berne: l'Office fédéral des assurances sociales (Ofas) a avoué avoir commis une erreur majeure dans la projection de l'état des caisses de l'AVS. D'ici à 2030, le chiffre a été surestimé de près de 6%, soit quatre milliards.
En conséquence, le Conseil fédéral a décidé que le financement de la 13ᵉ rente AVS serait assumé par l'augmentation de la TVA et qu'une hausse des cotisations salariales n'était plus à l'ordre du jour. Il n'empêche, la consternation règne au sein du personnel politique. La gauche veut revoter sur la retraite des femmes à 65 ans et la droite est en pétard contre l'Ofas et le Département fédéral de l'Intérieur (DFI), tenus respectivement par les socialistes Stéphane Rossini et Elisabeth Baume-Schneider.
Sous pression, Stéphane Rossini l'est certainement, y compris au sein même du DFI. Pour l'heure, sa patronne, Elisabeth Baume-Schneider, lui a réitéré sa confiance dans une conférence de presse, mercredi, en noyant un peu le poisson concernant son absence.
Cette absence de blâme public ou de critique au sommet du DFI donne l'impression que Baume-Schneider rechigne à remettre à l'ordre son poulain, au moins publiquement. Et cela fait grincer quelques dents.
C'est bien connu, les chefs d'entreprise aiment gagner de l'argent, pas en perdre. Alors, se planter de 6% dans les comptes de la boîte, est-ce que ça porte vraiment à conséquence? On a posé la question à un des patrons les plus connus des Romands: Pascal Meyer, à la tête de la start-up de vente en ligne Qoqa, qui emploie 230 personnes. Et il sait que dans le monde du business, il y a certaines erreurs qui ne pardonnent pas:
La semaine dernière, après l'annonce de la différence de quatre milliards, les petites loutres de chez Pascal Meyer ont d'ailleurs préféré rigoler de la situation: Qoqa a mis en vente des calculatrices en surfant sur l'erreur de calcul de l'Ofas. «La meilleure amie des fonctionnaires», est-il ironiquement écrit pour décrire le produit.
Sur le visuel accompagnant la vente, on y voit une personne âgée tendre une calculette où il est affiché quatre milliards en chiffres, accompagné du texte: «Les calculs ne sont pas bons, Bruno! #paillettes», en référence au sketch d'Inès Reg.
Les nombreux commentaires s'amusent de l'idée de Qoqa, à l'image de «sablier94»: «Elle a l'intelligence artificielle intégrée? 🤖 Ou bien ce serait trop avancé pour des fonctionnaires?»
Car il y a Pascal Meyer le plaisantin, mais aussi Pascal Meyer, le patron. Et s'il concède que l'opération a bien fait rigoler tout le monde, il devient plus sérieux quand il s'agit de s'imaginer une erreur de calcul de 6% dans ses finances. Si cela devait arriver dans sa boîte, comment réagirait-il?
Il déroule: «Si on commence à faire des erreurs de ce genre, on passerait pour des gens qui ne savent pas gérer leur boîte.» Avec comme conséquence, une perte de crédibilité et d'image, y compris à l'interne. «Ce serait grave», lâche-t-il.
Il faut dire que dans le privé, ça ne pardonne pas. «Nous, on n'a pas de filet de secours comme un secteur plus étatique», note Pascal Meyer. «On ne viendra pas nous sauver et on ne peut pas se permettre le risque de voir nos 230 employés à la rue.»
Que recommande-t-il donc? Un bon blâme? «Oui au moins, si l'employé en question ne se fait pas virer, en fonction de la gravité de l'erreur.»
Il relance: «Ou alors on enferme le mec dans une cave durant deux jours et on l'asperge de bière», rigole le patron de Qoqa. On imagine cependant mal Stéphane Rossini, enfermé dans une pièce secrète du Palais fédéral, aspergé par Baume-Schneider du meilleur fendant valaisan disponible à Berne.
Pascal Meyer redevient sérieux: «Un manque de professionnalisme aussi énorme, il faut réagir.» L'absence de réaction claire, c'est ce qui l'a le plus choqué. «Je trouve que ça a été pris très à la légère. On nous a dit que ce ne sont que six petits pourcents. Mais le montant est tellement énorme! Ces gens sont censés protéger nos intérêts et nos retraites.»
Des erreurs, tout le monde en commet pourtant. «Nous, si on fait une connerie, on dira: on a merdé. Il faut assumer quand on s'est planté. A ce moment-là, les gens sont compréhensifs, mais il faut être authentique et sincère», estime Pascal Meyer.
A-t-on manqué d'authenticité à Berne? Elisabeth Baume-Schneider et Stéphane Rossini gagneraient-ils à venir quémander des excuses publiques? Le temps des excuses semble passé, il s'agit maintenant de voir quel épilogue aura lieu concernant les pressions autour du chef de l'Ofas.