En 2020, des informations confidentielles provenant d'un rapport d'enquête sur une affaire de renseignement ont fuitées dans les médias. Voici un résumé de l’histoire, qui a fait les gros titres sous le nom de «Crypto-Leaks»: la société Crypto AG, basée à Zug, appartenant aux services secrets américains et allemands, vendait des machines à chiffrer truquées à d'autres Etats. Elle les manipulait de manière à pouvoir écouter leurs communications. La CIA et les services secrets allemands pouvaient ainsi surveiller amis et ennemis, tout en bénéficiant du sceau de neutralité suisse.
Un enquêteur spécial, qui s’est penché sur cette affaire d'espionnage, a fait une découverte fortuite. Le service de technologie informatique de la Confédération a fourni malencontreusement trop de données provenant du cercle interne du pouvoir. Ce n'est donc pas tant à cause d'une indiscrétion que d'une maladresse, que tous les e-mails du plus proche collaborateur d'Alain Berset se sont retrouvés sur le bureau de l'enquêteur.
Les échanges de courriels qu’a lus l'enquêteur spécial ont rapidement été rendus publics: ce sont les «Corona-Leaks», publiés par ce journal au début de l'année 2023. Ces documents laissent entendre que le chef de la communication de longue date d'Alain Berset a été en contact régulier pendant des mois avec Marc Walder, PDG du groupe de presse Ringier. L'accusation: Walder était systématiquement informé à l'avance des décisions prises par le gouvernement fédéral concernant la lutte contre la pandémie de Covid.
Déjà avant la pandémie de Covid, de nombreuses informations provenant du gouvernement fédéral finissaient dans les médias avant même que celui-ci se soit réuni. A l’époque, on pouvait fréquemment lire dans le Blick, mais aussi dans le Tages-Anzeiger ou d'autres journaux, quelles mesures le gouvernement comptait prendre. Des cercles bien informés sont régulièrement soupçonnés d’utiliser ces fuites pour tester l’acceptation ou la résistance d’une nouvelle règle dans le public, avant qu’elle ne soit réellement adoptée. Cela entraîne des crises de confiance au sein du gouvernement fédéral, généralement accompagnée de dépôts de plaintes contre inconnu.
Même après le départ de Berset et de son chef de la communication des fonctions fédérales, la fin de ce genre d’indiscrétions ne semble pas en vue. Il ne se passe quasiment pas une semaine à Berne sans qu'une décision du gouvernement ne fuite avant même son annonce officielle: une nouvelle cheffe de département, un conflit entre départements, un document stratégique sensible. Bien que tout cela ne puisse probablement pas être qualifié de violation de secrets d'Etat par un tribunal, la plupart de ces fuites sont considérées comme des indiscrétions.
Les liens entre les départements et les rédactions ne sont cependant pas si étroits. Ceux qui s'intéressent à la question ont probablement déjà remarqué que les partis politiques et même les associations ont souvent besoin de seulement quelques minutes pour commenter une décision du gouvernement dans une déclaration de plusieurs pages – les médias ne sont généralement pas les premiers émetteurs dans la chaîne de divulgation de l’information.
Un groupe de travail spécialement créé pour enquêter sur les «Corona-Leaks» au sein de la commission de contrôle parlementaire s’est attaquée au dossier à partir de janvier 2023 et a publié son rapport à l'automne suivant. Toutefois, elle ne s’est pas intéressée à la complicité (politique), comme il est indiqué dans son rapport. Son enquête reposait principalement sur une «analyse des médias», autrement dit: elle a épluché les journaux pour trouver des réponses - la commission a exclu les radios et télévisions en raison de la quantité de données.
Le gain en termes de connaissances a donc été minime. Les enquêteurs se sont étonnés dans leur rapport que divers médias imprimés aient rapporté des informations sur la base d'indiscrétions et que, à certaines périodes, il n'y ait eu presque aucune séance du gouvernement fédéral sans violation du secret officiel. Mais la commission de contrôle parlementaire n’a trouvé aucun coupable. «En ce qui concerne les auteurs des indiscrétions, il est difficile d'identifier les sources», conclut-elle.
En effet, les affaires du gouvernement fédéral ont souvent été discutées avec les cantons, les associations, les groupes d'intérêts et «parfois aussi avec les partis», selon l'enquête des parlementaires. De plus, les médias invoquent naturellement à la protection des sources.
La Chancellerie fédérale a estimé qu'il fallait agir. Sur la base des recommandations de la commission de gestion (CDG) et après une décision du gouvernement fédéral, elle a élaboré une note d’information concernant l'éclaircissement et la sanction de ces indiscrétions. Le gouvernement fédéral n'y était pas particulièrement enthousiaste. Ce n'est que lorsque la CDG a insisté à nouveau, en août 2024, que le gouvernement a chargé la Chancellerie fédérale de mettre en place de nouvelles règles dans un «guide de la Conférence des services d'information (CSIS)».
La CSIS se compose du porte-parole du gouvernement (président) ainsi que des responsables de l'information des départements, de la Chancellerie fédérale et des services du parlement.
Depuis lors, l'accent a été placé sur ce qu'on appelle les «conversations off-the-record» entre l'administration fédérale et les journalistes. Ce type d'échanges est courant à Berne, car ils permettent de traduire le langage souvent sec et parfois difficile des communiqués officiels et d'expliquer un dossier aux journalistes avant qu'il ne soit présenté au public.
La Chancellerie fédérale et la CDG suspectent ici une porte d'entrée pour les indiscrétions. Elles ont donc voulu restreindre les communications des experts en communication au sein des départements. Dans une première version des nouvelles directives, datant d'octobre dernier, il était précisé que les points de presse seraient interdits tant qu'aucune décision du gouvernement fédéral ne serait prise sur le sujet. De plus, les informations communiquées devraient «être conformes à la décision du gouvernement fédéral».
L’ironie dans cette histoire, c’est que la Chancellerie fédérale, à cette époque, menait elle-même des points de presse avec les journalistes - indépendamment du fait qu'une décision du gouvernement fédéral ait été prise ou non.
Les directives de la Chancellerie ont rencontré une forte opposition de la part des experts en communication. Ils se sont sentis gravement restreints dans leur marge de manœuvre. Entre-temps, une deuxième version avec de nouvelles règles a été mise en circulation. Aucun des critères originaux concernant les points de presse n'a été conservé dans la version révisée.
Le document n'est pas encore officiel, c'est pourquoi il reste confidentiel. En réponse aux questions, il a été indiqué qu'une publication n’est pas envisagée avant le début de l'année prochaine. Petit spoiler: dans le document lui-même, il est fait mention de fin juin.
Traduit et adapté de l'allemand par Léon Dietrich